mardi 15 octobre 2019

25 octobre 1836 : l'obélisque de Louqsor est érigé place de la Concorde !

Erection de l'obélisque de Louxor place de la Concorde le 25 octobre 1836
par François Dubois (Musée Carnavalet)

"Dès le règne de Louis XVIII (1815-1824), les autorités françaises négocient avec Méhémet-Ali pour acquérir l'un des obélisques de Thoutmosis III installés à Alexandrie et surnommés les Aiguilles de Cléopâtre". Mais lorsque Champollion après les avoir examinés "in situ" arrive à Thèbes et découvre les obélisques du temple de Ramsès II, il estime qu'ils sont de qualité bien supérieure et plus dignes d'intérêt ! Et il ne se privera pas de l'écrire, à plusieurs reprises, afin d'amener le gouvernement à se rallier à son avis. Le 25 mars 1829, il réaffirme ainsi sa préférence "Je reviens encore à l’idée que, si le gouvernement veut un obélisque à Paris, il est de l’honneur national d’avoir un de ceux de Louxor (celui de droite en entrant), monolithe de la plus grande beauté"… Puis, le 4 juillet 1829, il est déterminé et même entêté : " Les pauvres obélisques d’Alexandrie. Ils me font pitié depuis que j’ai vu ceux de Thèbes. Si on doit voir un obélisque à Paris, que ce soit un de ceux de Louxor."
Les obélisques du temple de Louqsor tels que les a découverts Champollion en 1828
(aquarelle de François-Charles Cécile - 1766-1840 - RMN Grand Palais)

L'avis de Champollion est finalement écouté par le roi et diplomates et négociateurs entrent alors en action… "Le 6 février 1830, pour négocier la cession des obélisques de Louxor, une ordonnance royale nomme le baron Taylor, commissaire du roi auprès du vice-roi d’Égypte". Il est reçu en audience par Méhémét Ali le 31 mai. Dès le 3 juin, il donne son accord officieux - confirmé officiellement le 29 novembre 1830 - pour le don à la France des deux obélisques de Louxor".

Dans un premier temps, il est décidé de transporter l'obélisque de droite… Un bâtiment spécial, le "Luxor", est conçu pour le transfert de l'énorme monolithe. "Curieux navire que cette allège ! La conception en est due à l’inspecteur général du Génie maritime Rolland. Ce bâtiment répond à des exigences contradictoires. Ses formes doivent lui assurer une stabilité suffisante pour emporter un monolithe de 230 tonnes sur la Méditerranée et l’Atlantique. Il doit caler entre 1,8 et 2,4 m pour être capable de remonter le cours du Nil et s’échouer sur le rivage. Son tirant d'air doit être suffisamment limité pour remonter la Seine en passant sous les ponts. Rolland en déduit les plans d’un "mouton à cinq quilles", construit par l’arsenal de Toulon". A la demande de Champollion, le commandement du "Luxor" est confié à Raymond-Jean-Baptiste de Verninac Saint-Maur, secondé par le lieutenant de vaisseau de Joannis. Le navire "appareille de Toulon le 15 avril 1831, après avoir attendu les vents favorables. A son bord, cent douze hommes d’équipage et huit officiers".
Vue du Luxor avant son retour en France, lavis et aquarelle, 1832. Léon de Joannis (1803-1868)
 © Collection particulière/musée national de la Marine/A.Fux 

La traversée sera épouvantable ! Les récits qu'en font les passagers en témoignent ! Ainsi, Joannis se souvient : "Je ne parlerai point de la manière dont le Luxor se comporta à la mer (…) mais l’on peut assurer que la plus mauvaise barque, munie de trois mâts, naviguerait tout aussi bien que lui". Quant à Apollinaire Lebas, il est catégorique : "Le Luxor manquait des qualités nécessaires à ce genre de navigation ; il dérivait beaucoup".

Après ces moments effroyables, le navire accoste enfin à Alexandrie, le 3 mai 1831. Alors que les hommes chargés d'abattre l'obélisque remontent, avec leur matériel, le Nil vers Louqsor, pour commencer leur délicat travail, le 15 juin, le "Luxor" quitte Alexandrie pour rallier Rosette. Il y attend la crue du Nil pour rejoindre Louqsor, où il arrive le 14 août…
Différentes illustrations du Capitaine Joannis retraçant
l'enlèvement de l'obélisque du temple de Louqsor destiné à la place de la Concorde à Paris

L'obélisque, abattu le 23 octobre, sera placé à bord le 19 décembre… et le 25 août le bâtiment quitte Thèbes. Le 2 octobre, il arrive à Rosette, et trois mois plus tard, jour pour jour, il est à Alexandrie.
Le Sphinx remorquant le Luxor, François Roux (1811-1882), aquarelle sur papier, vers 1880/82
 © Galerie Delalande, le Louvre des antiquaires. Paris

Compte tenu de la mauvaise tenue en mer du "Luxor", Verninac avait demandé, pour le retour l'assistance d'un navire vapeur. Le "Sphinx" prend en charge le "Luxor" en rade d'Alexandrie et les bâtiments quittent l'Egypte le 19 avril.

En ami fidèle, Verninac tiendra informé Champollion de toute l'avancée du projet qu'il avait initié … Mais, malheureusement, Jean-François n'en verra jamais l'aboutissement ; malade depuis longtemps, épuisé, il s'éteint à Paris, le 4 mars 1832 … 

Lui qui souhaitait que l'obélisque de droite du temple de Louxor, d'une hauteur de 22,37 m, taillé dans le granit rose d'Assouan, "soit présenté tel que le voyaient les anciens Égyptiens" avait espéré aussi que le socle d'origine, bien qu'en mauvais état, soit remonté à Paris. Mais, jugé trop lourd (240 tonnes), il a été laissé dans le temple. Seul l’ornement sculpté a été prélevé et chargé sur le "Luxor".
 Planche extraite de "L’obélisque de Luxor histoire de sa translation à Paris, description des travaux auxquels il a donné lieu"
par A. Lebas, 1839, Gallica/BnF
Louis-Philippe jugeant les babouins “impudiques", ils seront déposés au musée du Louvre

Il s'agit d'une frise composée de babouins, symboles du dieu Thot en adoration devant le soleil … Louis-Philippe les jugera impudiques et refusera qu'ils soient exposés aux yeux des Français. Un nouveau piédestal sera fabriqué sur les plans de l'architecte Gabriel Hittorff et façonné, dans du granit breton, par l'entreprise Guillastrennec. Cette fois-ci, à nouveau, le "Luxor" et le "Sphinx" seront affrétés, et, là encore, Verninac sera chargé du commandement du transport…

Après de nombreuses hésitations, notamment entre la cour carrée du Louvre et l’esplanade des Invalides, la place de la Concorde a été choisie car le roi souhaite effacer le souvenir de l'emplacement de la guillotine, là-même où périrent Louis XVI et Marie-Antoinette …
Élévation et plan de l'appareil d'abattage et d'érection de l'obélisque, Jean-Baptiste
Apollinaire Le Bas, 1831
© Musée national de la Marine/A. Fux

 

Dans son "Histoire extraordinaire des pierres de légende, les Obélisques", Manuel Minguez relate ainsi les préparatifs de l'érection : "Les travaux d’approche qui permettront le basculement du monolithe sur son piédestal avancent régulièrement. (L’ingénieur Jean-Baptiste Apollinaire) Lebas teste les uns après les autres les matériels que l’on va utiliser, s’assure de la bonne solidité des cordes, dispose les engins convenablement et ici à Paris, une particularité tout à fait exceptionnelle : les machines à vapeur remplaceront la force musculaire des hommes. Durant toute la durée de l’édification du piédestal et de la rampe qui servira à l’ériger, l’obélisque et sa carcasse sont entreposés sur site sans aucune protection particulière et seul l’entretien ordinaire du bois et des fixations font l’objet de quelques visites. La découverte d’actes de vandalisme par martèlement du granit de l’aiguille va obliger les responsables à mieux protéger le monument. Une palissade en bois et un gardien veilleront à ce que de pareilles exactions ne se reproduisent plus".
Érection de l'obélisque de Louqsor sur la place de la Concorde, le 25 octobre 1836
(gravure de 1837)

Enfin, le 25 octobre 1836, sur la place de la Concorde, une foule immense est rassemblée. Afin de créer une ambiance "égyptianisante", l'opéra de Mozart "Les mystères d'Isis" est joué… Le roi Louis-Philippe, accompagné de ses proches et de la famille royale de Belgique, assiste à l'érection depuis le balcon de l'Hôtel de la Marine …

C'est un événement hautement symbolique qui marquera à jamais la physionomie de la capitale !

En 1839, le piédestal sera orné de dessins retraçant les phases marquantes de l'opération et du nom des personnes ayant participé à la grande aventure… 

En 1998, sur une suggestion faite une quinzaine d'années auparavant par Christiane Desroches-Noblecourt, "un pyramidion doré à l'antique a été posé sur l'obélisque de la Concorde". 

marie grillot

sources :
Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829, par Champollion le jeune, Éditeur Didier (Paris), 1868
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103771z/f1.image.r=Il%20est%20donc%20du%20plus%20haut%20intérêt%20pour%20l%27Egypte%20elle-même.texteImage
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
L’obélisque de Louqsor transporté à Paris. Notice historique, descriptive et archéologique sur ce monument, avec la figure de l'obélisque et l'interprétation de ses inscriptions hiéroglyphiques, d'après les dessins et les notes manuscrites de Champollion le Jeune, par M. Champollion-Figeac, Paris, Firmin Didot Frères, 1835
https://archive.org/stream/lobelisquedelouq00cham/lobelisquedelouq00cham_djvu.txt
Voyage du Luxor en Égypte: entrepris par ordre du roi pour transporter de ...
Par Raimond-Jean-Baptiste de Verninac de Saint-Maur
https://books.google.fr/books?id=F0NhAAAAcAAJ&pg=PA465&dq=verninac+ob%C3%A9lisque&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiK_7mrkKXWAhXCJ1AKHR-RCV0Q6AEILTAB#v=onepage&q=verninac%20ob%C3%A9lisque&f=false
http://www.culture.gouv.fr/LH/LH274/PG/FRDAFAN83_OL2693063V001.htm
Les deux Champollion, leur vie et leurs oeuvres: Leur correspondance, Aimé Champollion-Figeac
https://books.google.fr/books?id=bsUwDH4nxO4C&pg=PA32&lpg=PA32&dq=VERNINAC+CHAMPOLLION&source=bl&ots=5y92v4i4Tg&sig=oeHN5LdUj_G8I5OhV7NjsrLhuUI&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjl_pvm85zWAhVI1hoKHan1DTw4ChDoAQhMMAY#v=onepage&q=VERNINAC%20CHAMPOLLION&f=false
Le Shom, année 1830
http://www.shom.fr/les-activites/annales-hydrographiques/annales-coloniales/annee-1830-tome-1/
Histoire extraordinaire des pierres de légende, les Obélisques, Manuel Minguez, éditions Mélibée, 2014
http://peccadille.wordpress.com/2014/05/15/25-octobre-1836-le-jour-ou-lobelisque-se-dressa-dans-le-ciel-parisien/
http://www.insecula.com/oeuvre/O0000903.html
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k508572x/texteBrut
France-Égypte 1998 - Actes du 9ème colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 2 & 3 octobre 1998, Pierre Hunt
https://www.persee.fr/doc/keryl_1275-6229_1999_act_9_1_991

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