vendredi 2 avril 2021

La statue du Louvre d' "Amon protégeant Toutankhamon"


Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 
découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857
Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609

Datée de 1336-1327 av. J.-C., haute de 2,15 m, cette statue est sculptée en ronde bosse dans un bloc de diorite très foncée. Le "poli", aussi impeccable qu'admirable, que lui a donné le sculpteur semble en avoir atténué le côté sombre, lui conférant même un aspect brillant. Georges Bénédite, qui a consacré une longue étude à cette statue, apporte cette précision : "On voit en haut du pilier d'adossement comme une traînée de granit rose, témoin du vaste banc de syénite où était emprisonnée la coulée de roche noire". 

Le groupe statuaire représente le dieu Amon, assis sur un trône cubique, les mains posées en signe de protection sur les épaules de Toutankhamon, qui se tient debout devant lui et qui est représenté à une échelle beaucoup plus petite. 
Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 
découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857
Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609

Le visage du dieu, dans un état de conservation exceptionnel, est d'une symétrie parfaite ; il a une expression tout à la fois douce et lointaine. "Amon thébain est représenté ici sous sa forme canonique, c’est-à-dire avec son visage humain et la couronne qui le caractérise, faite d’un mortier plat surmonté de hautes plumes" précise Vincent Rondot. 

Ses joues sont plutôt rondes, ses yeux sont en amande. Son nez est fin et sa bouche aux lèvres charnues est menue. Il porte la barbe postiche tressée, légèrement recourbée en son extrémité. Son cou est paré d'un collier-ousekh à six rangs. 
Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 
découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857
Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609

Il est vêtu d'une tunique - ou d'un corselet - dont les bretelles et le galon sont décorés de frises délicatement ciselées. Le pagne plissé laisse le nombril apparent. Il est maintenu à la taille par une ceinture joliment travaillée qui comporte, en son centre un motif ovale sous lequel est reproduit un nœud d'Isis.

Son corps est de proportions idéales, avec des épaules carrées et  des jambes puissantes qui contribuent à accentuer l'impression de force et de stabilité.
Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 
découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857
Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609

La "symbolique" de la statue réside dans l'attitude que le dieu manifeste au souverain : il lui donne en effet "l'investiture, car le geste divin est à la fois celui de la protection et de la présentation" analyse Georges Bénédite. Et, comme le traduit si bien Jacques Vandier : "Amon avance les bras et pose ses mains sur les bras du roi. Les mains divines ont été intentionnellement brisées par des sectaires qui voulaient, par là, empêcher le fluide divin d'imprégner l'ancien partisan d'Aton. Ce sont eux, sans doute, qui ont également décapité Toutânkhamon".

De sa tête, cassée à la base du cou, seuls demeurent les deux pans du némès royal.

Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 

découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857

Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609


Le corps du jeune roi est menu, presque fragile. Ses bras ont été eux aussi abîmés, mais ce qui demeure permet de voir que ses mains étaient posées à plat sur son pagne. 

Il est vêtu du : "costume des prêtres d'Amon, pagne empesé ceinturé et peau de félin sur l'épaule gauche. Il est chaussé de sandales et paré d'un collier large."

La folie destructrice n'a pas été jusqu'à détruire : "les cartouches inscrits sur une parure du vêtement, suspendu à la ceinture à droite du pagne" qui le nomment … 
Statue d'Amon sous les traits de Toutankhamon - calcaire - XVIIIe dynastie
provenant du temple d'Amon Karnak - découverte en 1904 dans la Cachette, au nord du VIIe pylône (K.535)
Musée de Louqsor J. 198 (Musée du Caire JE 38689)

Mais les égyptologues l'auraient très certainement identifié en analogie à d'autres de ses représentations tant les traits du dieu :  "en sont l'exact reflet : le visage doux, féminisé, caractérise d'une manière générale les portraits de cette dynastie". Cette interprétation est ainsi plus longuement développée dans l'ouvrage "L'Egypte ancienne au Louvre" : "Le visage du dieu reproduit la physionomie caractéristique du souverain que nous font connaître nombre de ses statues : celle d'un adolescent dont les joues rondes et la bouche charnue aux lèvres sinueuses soulignent la jeunesse; l'expression reste cependant légèrement mélancolique."

Cette statue, victime des conflits religieux d'une époque tourmentée, fut très certainement déposée, - peut-être même jetée - dans une cachette du temple de Karnak… 

Elle n'en  ressortira que bien des siècles plus tard et, alors, commencera la seconde partie de son histoire…
Auguste Mariette
(12 février 1821, Boulogne-sur-Mer - 18 janvier 1881, Le Caire)

A l'automne 1857, soit six ans après avoir découvert le Sérapeum et après un "retour" en France de trois "longues" années, Auguste Mariette revient enfin en Egypte… 

Sa mission, "arrangée" par Ferdinand de Lesseps, a pour but "officiel", d'y préparer le voyage du prince Napoléon (cousin "indiscipliné" de l'Empereur Napoléon III, connu sous le surnom de Plon-Plon).

Saïd Pacha qui souhaite entretenir les meilleures relations possibles avec la France se réjouit de recevoir ce membre de la famille impériale, présenté comme un : "grand amateur d'art qui aurait à cœur de visiter les monuments d'Egypte et d'en rapporter des antiquités". 
Le Prince Napoléon (dit Plonplon) (1822-1891) - Photo de Disderi

Aussi, pour l'organisation de ce séjour princier donne-t-il "carte blanche" à Mariette. Ce dernier écrira d'ailleurs à Ferdinand de Lesseps  : "Je pense qu'avec les instruments qu'on m'a mis entre les mains je réussirai à satisfaire le vice-roi et à procurer au Prince Napoléon quelques bons monuments à emporter"… 

Des chantiers seront ouverts  à Gizeh, à Sakkarah, à Abydos, à Eléphantine, et à Thèbes. C'est dans ce contexte que, lors des fouilles menées à Karnak, la statue sera découverte.

Le prince finalement ne viendra pas en Egypte. En une sorte de "compensation diplomatique" à cette annulation, ses proches conseillers l'inciteront à acquérir la collection d'antiquités constituée pour lui. Mais, dans sa munificence "Saïd Pacha refuse tout paiement et prie le fouilleur-diplomate (Mariette) de choisir lui-même ce qui sera offert au Prince". 

C'est ainsi en tant que "cadeau diplomatique" que la statue d'Amon protégeant Toutankhamon rejoignit les collections du Prince. La destina-t-il à son hôtel particulier parisien de l'avenue Montaigne ? ou à son château de Prangins en Suisse ? Les deux hypothèses sont évoquées. Ce qui est certain c'est qu'une décennie plus tard - en 1868 précisément - elle est présentée et décrite par Wilhelm Fröhner, sous le numéro 520 du "Catalogue d'une collection d'antiquités du prince Napoléon-Jérôme Bonaparte" : "Ammon, statue assise en granit noir. Ammon, à barbe pointue, vêtu de la schenti, les bras collés au corps, est assis sur un siège. Ses pieds reposent sur un escabeau ; son dos est appuyé contre un pilastre, chargé d'une inscription dédicatoire. Il porte une mitre, surmontée de plumes ; autour de son cou et au-dessous du sein on remarque des bandeaux que l'on peut comparer en partie au kestos grec. Le dieu tient devant lui la statuette du roi Amen- Toutanch (de la dix-huitième dynastie), vêtu d'un tablier plissé et d'une peau de lion…" 

Il est utile de rappeler ici que la tombe de Toutankhamon ne sera découverte que … 54 ans plus tard !
Statue du dieu Amon protégeant Toutânkhamon - diorite - Nouvel Empire - 1336 - 1327 av. J.-C. 
découverte par Auguste Mariette à Karnak en 1857
Collection du Prince Napoléon puis Maison Feuardent  - Acquise par le Musée du Louvre en février 1920 - E 11609

Le groupe statuaire sera acquis par les antiquaires français renommés Camille Rollin  et Félix-Bienaimé Feuardent, la "Maison Rollin & Feuardent" étant alors située 12 rue Vivienne (Paris 2e). A la mort de Camille Rollin, l'activité se poursuivra 4 rue de Louvois, mais sous le nom de "Feuardent Frères". C'est en février 1920, sous l'impulsion de son conservateur Georges Bénédite, que le département des antiquités égyptiennes du Louvre se portera acquéreur auprès d'eux de cette statue. 

Enregistrée dans les collections sous la référence E 11609, elle "accueillait" les visiteurs lors de la  grande exposition "Toutankhamon, le trésor du Pharaon" qui s'est tenue à Paris, à La Villette, en 2019.

marie grillot

sources :
Statue d'Amon et Toutânkhamon
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010009969
Georges Bénédite, Amon et Toutânkhamon (au sujet d'un groupe acquis par le musée égyptien du Louvre ), Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot  Année 1920  24-1-2  pp. 47-68
https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1920_num_24_1_1806
Christophe Barbotin, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire au Louvre : une synthèse
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01880296/document
Christophe Barbotin, Les statues égyptiennes du Nouvel Empire. 1, Statues royales et divines, Musée du Louvre, 2007
Guillemette Andreux, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Egypte ancienne au Louvre, Hachette, 1997
Archives des musées nationaux, Département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre (série AE) 
Répertoire numérique détaillé numéro 20144775 
https://www.siv.archives-nationales.culture.gouv.fr/siv/rechercheconsultation/consultation/ir/pdfIR.action?irId=FRAN_IR_053905
Jacques Vandier, Manuel d'archéologie égyptienne, tome III, Les grandes époques, la statuaire, 1958 (statue 111.1)
Marc Gabolde, Toutankhamon, Pygmalion, 2015
Elisabeth David, Mariette Pacha, 1821-1881, Pygmalion, 1994
Claudine Le Tourneur d’Ison, Mariette Pacha, Plon, 1999
Une lettre écrite d'Égypte par M. Mariette, Emmanuel de Rougé
Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres  Année 1858  2  pp. 115-121
https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1858_num_2_1_66047
http://napoleonland.over-blog.net/article-12208373.html
Catalogue d'une collection d'antiquités [du prince Napoléon-Jérôme Bonaparte], par M. Fröhner, Éditeur :  impr. de A. Pillet fils aîné (Paris), 1868
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6524839t.texteImage
Interview de Vincent Rondot - Dossier de presse de l'exposition "Toutankhamon, le trésor du Pharaon" à La Villette, 2019

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