samedi 7 octobre 2017

Une ravissante petite stèle présentée par Mariette à l'Exposition universelle de 1867 à Paris

Stèle de Djedamoniouânkh - bois peint - XXIIe dynastie
provenant de Deir el-Bahari - Musée égyptien du Caire  - réf: RT 25.12.24.20 - n° 3365

Inaugurée le 1er avril 1867, l'Exposition universelle de Paris ferme ses portes le 31 octobre après avoir accueilli plus de 11 millions de visiteurs !

Il fallait parfois jusqu'à trois heures d'attente avant de pouvoir entrer dans le pavillon égyptien créé par Auguste Mariette. Un temple avait été reconstitué, et il avait apporté du musée de Boulaq : "des échantillons de l'art égyptien à ses époques principales". 
L'empereur Napoléon III, l'impératrice Eugénie et le prince impérial
en visite dans le pavillon égyptien de l'Exposition universelle de 1867 à Paris

C'est ainsi que des pièces emblématiques firent le déplacement vers la capitale française, comme les statues du Cheikh el-Beled, de Ranefer, de la reine "Aménéritis"… ou encore les bijoux de la reine Ah-hotep, sans oublier des momies à démailloter.

Des pièces plus "confidentielles" étaient présentes en nombre, témoignages de la diversité de l'art pharaonique et, parmi elles, cette magnifique petite stèle en bois qui charme au premier regard.

Haute de 27,6 cm, large de. 23 cm, et d'une épaisseur de 2,7 cm, datée de la XXIIe dynastie (env. 900 av. J.-C.), elle est dédiée à dame Djedamonioufankh. 

Si les circonstances de sa découverte restent à déterminer, la provenance généralement indiquée est Deir el-Bahari, mais aussi, plus rarement "Thèbes" ou "Gournah". Deux références lui sont attribuées RT 25.12.24.20 et 3365.

Elle est de forme cintrée car, comme le précise Auguste Mariette : "Jusqu'à la XIème dynastie, les stèles sont quadrangulaires… Mais à partir de la XIème dynastie, la stèle prend la forme qu'elle n'abandonne plus qu'à de rares occasions. Elle est arrondie par en haut, comme si elle était destinée à rappeler la courbure du ciel ou celle des couvercles de sarcophages."

Le grand égyptologue la présente ainsi dans le "Catalogue de l'Exposition de 1867" : "Jolie stèle peinte. Un stuc léger appliqué sur le bois a reçu une peinture en couleurs gammées qui donnent au tableau l'aspect éclatant d’une gouache."

S'il est vrai que la palette chromatique, particulièrement riche et harmonieuse, nous séduit, les registres qui y sont déclinés, totalement différents, nous attirent. Ils sont la preuve que l'artiste a su - ou voulu -rapprocher le monde de l'au-delà et le monde terrestre.

Mariette nous apporte cet éclairage "général" sur la conception symbolique des stèles : "Le haut de la stèle est censé se perdre dans le ciel. À mesure que nous descendons vers le bas, nous nous approchons de la terre. En d'autres termes, la stèle est partagée en trois zones."
Stèle de Djedamoniouânkh - bois peint - XXIIe dynastie
provenant de Deir el-Bahari - Musée égyptien du Caire - réf: RT 25.12.24.20 - n° 3365

La partie supérieure du cintre est ainsi décryptée par Jean-Pierre Corteggiani ("L'Egypte des pharaons au musée du Caire") : "Un ciel incurvé soutenu par deux sceptres-ouas reposant sur la terre ; un disque solaire ailé surmonte les cinq courtes colonnes d'une formule funéraire destinée à assurer offrandes et provisions à la dame."
Détail de la stèle de Djedamoniouânkh - partie supérieure - bois peint - XXIIe dynastie
provenant de Deir el-Bahari - Musée égyptien du Caire - réf. : RT 25.12.24.20 - n° 3365

Et, comme pour faire la symétrie, deux chacals, comme couchés sur l'inscription hiéroglyphique, entourent un vase orangé, placé en plein centre, juste sous le soleil.

La partie centrale, qui occupe la majeure partie de la stèle, est "consacrée" à deux personnages, debout, se trouvant de part et d'autre d'une table d'offrandes, le tout se détachant sur un subtil fond bleu.

Dans le "Catalogue officiel du musée du Caire", Mohamed Saleh et Hourig Sourouzian en font cette description : "Quant au tableau principal, il représente une scène d'adoration traditionnelle. La dédicataire de la stèle, vêtue d'une robe plissée entièrement transparente, parée d'un collier et d'une longue perruque tripartite surmontée par un cône de parfum, lève ses mains délicates devant Rê-Harakhty. Le dieu à tête de faucon est couronné du disque solaire qu'entoure un uraeus, il tient le sceptre-ouas et le symbole de vie."
Détail de la stèle de Djedamoniouânkh - partie centrale - bois peint - XXIIe dynastie
provenant de Deir el-Bahari  - Musée égyptien du Caire  - réf: RT 25.12.24.20 - n° 3365

Dame Djedamonioufankh, avec sa robe légère, les bras levés en signe d'adoration, est face à un Rê-Harakhty à la chair noire qui, paré de ses attributs, affiche sa force, son pouvoir et sa puissance divine... 

Entre eux, est dressée une table d'offrandes chargée de victuailles, pains, raisins, viandes, volailles, légumes. Une main attentionnée y a déposé de délicates fleurs de lotus. De chaque côté du pied de la table, se trouvent un récipient allongé, de couleur orangée, posé sur un support tripode noir, ainsi que des laitues joliment reliées par une guirlande végétale. 

Gaston Maspero, dans le "Guide du Musée Boulaq", donne cette interprétation de la scène : "La dame Zodamen-Efônkh vient réclamer auprès d’Harmakhis sa part des sacrifices que lui font ses parents."

Quant à la partie inférieure de la stèle, sa conception nous touche pour deux principales raisons. Tout d'abord, parce qu'il s'agit d'une scène extrêmement rare dans l'iconographie des stèles, et aussi parce que, si ce n'est la présence de la pleureuse, le paysage qui est reproduit "nous parle", et que l'on peut presque le situer aujourd'hui, dans les nécropoles de Thèbes.
Détail de la stèle de Djedamoniouânkh - partie inférieure - bois peint - XXIIe dynastie
provenant de Deir el-Bahari  - Musée égyptien du Caire - réf: RT 25.12.24.20 - n° 3365

La scène est déclinée sur un format rectangulaire délimité, en haut et en bas, par deux traits noirs et épais. Sur la gauche, la montagne thébaine traitée en ocre-rouge parsemé de stries et de points blancs (traduisant le sable, les roches et les ravines), dévale en pente douce vers la plaine arborée. Faisant fi de la perspective et de l'échelle des motifs figurés, l'ensemble est indéniablement charmant !

De nombreux égyptologues se sont penchés sur cette scène, la commentant de fort belle manière.

"Il y a là, en effet, une représentation très rare de la nécropole ; à gauche, la tombe, précédée d'un pylône surmonté de deux pyramidions, est construite à la lisière des terres cultivées sur les premières ondulations sablonneuses du désert ; au milieu, une femme agenouillée se lamente dans l'attitude habituelle des pleureuses, une main levée au-dessus de la tête ; à droite, une table d'offrandes est dressée à côté d'un bassin, à l'ombre d'un sycomore et de deux palmiers-dattiers ; c'est le jardin funéraire dont parlent plusieurs textes, et dans lequel le mort souhaite que son âme revienne sous forme d'oiseau, pour se promener au bord du bassin, se poser sur les branches des arbres, ou se rafraîchir sous le sycomore" : telle en est lecture de Jean-Pierre Corteggiani.
Dessin de la scène de la partie inférieure de la Stèle de Djedamoniouânkh dans
"Der Garten als Brücke zum Jenseits" de Jan Assmann

Dans le "Catalogue officiel du Musée égyptien du Caire", on peut lire : "On y voit pour la première fois une scène de la nécropole où il n'est question ni de processions ni de théories de porteurs d'offrandes. Dans la solitude du désert la pente de la falaise dans laquelle est creusée la tombe a été peinte en rose à rehauts blancs. La chapelle qu'on voit en superstructure est couronnée d'un pyramidion et précédée d'un escalier. Trois édifices percés de portes, et dont les plus hauts, à coupole, s'ornent d'une corniche à gorges, s'élèvent dans la nécropole devant la tombe. Une femme accroupie pleure ses morts en s'arrachant les cheveux. Derrière elle, un sycomore et deux palmiers-dattiers évoquent le jardin dont le 'ba' du trépassé espère ombre, fraîcheur et eau. La table d’offrandes chargée de pain et un bassin à eau sont en effet au pied de ces arbres."
Au centre, la Stèle de Djedamoniouânkh  lorsqu'elle était exposée au Musée de Boulaq
bois peint - XXIIe dynastie - provenant de Deir el-Bahari
Musée égyptien du Caire - réf: RT 25.12.24.20 - n° 3365

Quant à Gaston Maspero, dans le "Guide du Musée de Boulaq", il formule cette interprétation : "La montagne, peinte en jaune rayé de rouge, couvre le champ de gauche : deux petites portes surmontées de pyramidions marquent la tombe de la dame Zodamen-Efônkh. Une femme agenouillée se lamente et s'arrache les cheveux en signe de deuil : des arbres, dessinés derrière elle, figurent le jardin funéraire, où l’âme viendra s'ébattre et se nourrir à la table qui l’attend chargée d'offrandes."

Et voici enfin, l'analyse d'Auguste Mariette, analyse qui a certainement motivé son choix de la présenter à Paris : "Le bas du monument est occupé par une petite composition digne d'être remarquée. À droite, entre les acacias et les dattiers qui bordent la lisière des terres cultivées, une table d’offrandes chargée de dons funéraires a été placée. À gauche, la tombe de la dame T’at-Amen-aouf-ankh s’élève au bord du désert. Un pylône surmonté de deux pyramidions la précède : un peu plus loin est l’édicule qui recouvre la sépulture proprement dite. Au centre, une parente de la défunte est agenouillée, tête nue, dans la posture des pleureuses."

marie grillot

sources :
Auguste Mariette, Exposition universelle de 1867, Description du Parc égyptien, 1867
https://scholarship.rice.edu/jsp/xml/1911/9292/229/MarParc.te#index-div6-N1363A
Auguste Mariette, Album du musée de Boulaq, Mourès, Le Caire, 1872
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8626090c/f1.image.r=auguste+mariette.langFR
Gaston Maspero, Guide du visiteur au musée de Boulaq, 1883 
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k141741b.r=gaston+maspero.langFR
L'Egypte des pharaons au musée du Caire, Hachette Paris, 1986
Mohamed Saleh, Hourig Sourouzian, Catalogue officiel du Musée Egyptien du Caire, Verlag Philippe, von Zabern, 1997
Francesco Tiradritti, Trésors d'Egypte - Les merveilles du musée égyptien du Caire, Gründ, 1999
National Geographic, Les trésors de l’Égypte ancienne au Musée égyptien du Caire, 2002

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire