Se souvient-il de Tanis dont il a vu la puissance, la grandeur, puis la décadence, l'abandon, l'oubli, l'ensevelissement sous les sables ?
Tanis, "le" Tell San el-Hagar d'aujourd'hui - se révèle être un site plutôt désolé qu'essaient de faire renaître, par un laborieux travail, des missions françaises, celle de Pierre Montet de 1929 à 1956 puis la Mission française des fouilles de Tanis (MFFT), fondée en 1964 par le Pr. Jean Yoyotte…
La cité a connu "son "âge d'or", sous les XXIe et XXIIe dynasties : elle était alors une capitale religieuse et funéraire. Peut-être y eut-il alors la volonté d'en faire la "Thèbes tardive - du nord" ? "Tsa'ani" en était le nom égyptien, puis il est devenu "Tso'an" en hébreu, "Tjaani" pour les Coptes, grécisé en "Djanet"... Bien que supplantée par Alexandrie, elle semblait cependant être encore une ville importante à l'époque romaine ; au Ier siècle av. J.-C., Strabon la qualifie de "polis mégalé".
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Plan de Tanis réalisé par Pierre Jacotin pendant l'expédition de Bonaparte et et publié dans la "Description de l’Égypte" |
Elle sera étudiée par l'expédition de Bonaparte et "Le plan de la Description de l’Égypte", dressé par son géographe Pierre Jacotin, éclaire l’ensemble des recherches archéologiques durant le XIXe siècle. En 1802, l'armée française, après avoir subi trop de revers, quitte le pays. Lord Elgin mandate alors William Hamilton, un diplomate anglais, "pour s'occuper particulièrement des trésors scientifiques et culturels amassés par l'expédition". Il en profitera pour se rendre jusqu'à Tanis et c'est lui qui redécouvrira le sphinx en 1802.
Le sphinx reste cependant sur place et c'est en 1825 que les équipes de fouilles du consul anglais Henri Salt arrivent sur le site, se l'approprient et l'intègrent à la collection d'antiquités du diplomate.
Lorsque la même année, Jean-Jacques Rifaud arrive sur le site, il dresse le plan des ruines et des statues qui s'y trouvent. Il matérialise bien une paire de sphinx qui indique que le sphinx avait un "jumeau" et qu'il était encore sur place. Selon Pierre Montet : "la paire de sphinx devait se trouver soit dans la première cour du temple, soit devant le IIe pylône, soit devant un édifice secondaire, mais déjà elle avait été changée de place".
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Plan des fouilles du grand temple de Tanis en 1825 - dessin original de J.-J. Rifaud (les sphinx sont visibles au milieu à droite) |
Grâce à la persévérance de Jean-François Champollion, la collection Salt sera achetée par la France : "Charles X ratifia l'achat de la collection en février 1826 au prix demandé de 250.000 francs." Il semble que les deux sphinx de Tanis y furent par la suite ajoutés : cependant, il ne s'agit pas de "la paire", mais du sphinx de la crypte et d'un autre sphinx, plus petit…
Dans une lettre datée du "27 avril 1826, de Livourne", Jean-François Champollion écrit au Duc de Blacas - après avoir mentionné le grand sarcophage de Ramsès III : "À ses côtés se placeront dignement le superbe sphinx de granit rose, de huit à dix pieds de long, dont le travail est signé de Sésostris, et le sphinx de granit, d'une proportion deux fois plus grande, et qu'on dit d'un travail encore plus recherché. Cette dernière et magnifique pièce attend, sur le rivage d'Alexandrie qu'un vaisseau du roi vienne la prendre."
Le sphinx transitera ensuite par Le Havre puis, en compagnie de la statue colossale de Sethi II, remontera la Seine pour atteindre Paris en novembre 1828.
Il sera dans un premier temps installé dans la plus ancienne cour du Louvre comme nous le précise Pierre Rosenberg dans le Dictionnaire amoureux du Louvre : "La cour du Sphinx doit son nom à un sphinx ramené de Tanis, dans le delta du Nil, par Champollion, il est aujourd'hui dans la crypte qui désormais porte ce nom.”
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Le grand sphinx de Tanis lorsqu'il se trouvait dans la salle de la colonnade du Musée du Louvre Tableau peint par Guillaume Larrue en 1885 |
Puis il fut installé ensuite dans la salle de la Colonnade dédiée aux grands monuments égyptiens. Il est en effet, certainement avec ceux de Saint-Pétersbourg, parmi les plus grands sphinx à se trouver en Europe !
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Sphinx provenant de Tanis - granite - H. : 1,83 m. - l. : 4,80 m. - L. : 1,54 m. Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - A23 par acquisition de la Collection Salt en février 1826 |
Selon Jean-François Champollion : "Le Sphinx était l'emblème de la sagesse unie à la force, attribut essentiellement propre à la divinité, et qui était accordé aux Pharaons, images vivantes de la divinité sur la terre. La tête de l'animal à tête humaine avait les traits du Dieu, c'est-à-dire du Roi déifié, qu'il concernait."
À quel pharaon le sphinx de Tanis était-il dédié ? Dans "L'Égypte ancienne au Louvre", Christiane Ziegler fait part de son analyse : "Les inscriptions, visibles sur la poitrine et les épaules de l'animal ou sur le plat et les côtés de la base, n'apportent pas une réponse définitive à ces questions, car les hiéroglyphes sont malencontreusement arasés et prêtent à des interprétations diverses. On y lit assurément les noms d'un Apopi, roi hyksôs (vers 1650-1550 avant J.-C.), de Merenptah (1213-1203 avant J.-C.), fils et successeur de Ramsès II, et de Chéchonq Ier (vers 945-924 avant J.-C.), fondateur de la XXIIe dynastie et souverain de Tanis. Cette extraordinaire statue avait donc séduit plusieurs rois qui se l'étaient attribuée successivement en y faisant ajouter leurs cartouches, compliquant à l'envi la tâche des historiens du XXe siècle. Ce sont des critères stylistiques qui permettent de faire remonter le sphinx à des époques beaucoup plus anciennes, et sans doute à l'Ancien Empire. En effet, l'aspect réaliste du corps du lion, le rendu naturaliste des détails (griffes, muscles sous la peau) sont caractéristiques des débuts de la sculpture égyptienne et ne sont pas sans rappeler le sphinx de Giza.
Sphinx provenant de Tanis - granite - H. : 1,83 m. - l. : 4,80 m. - L. : 1,54 m.
Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - A23
par acquisition de la Collection Salt en février 1826
L'inscription du plat droit de la base a pu être lue comme le nom d'un pharaon du Moyen Empire, Aménemhat I (1898-1866 avant J.-C.), mais nul ne sait si c'est une gravure contemporaine du sphinx, ni surtout si cette tête a les traits de ce pharaon dont on n'a, par ailleurs, aucun portrait. Il reste donc tentant de voir dans ce visage mystérieux un portrait d'un pharaon de la IVe dynastie, peut-être Snéfrou (2620-2590 avant J.-C.), le père du grand Khéops."
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Sphinx provenant de Tanis - granite - H. : 1,83 m. - l. : 4,80 m. - L. : 1,54 m. Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - A23 par acquisition de la Collection Salt en février 1826
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Quant à Pierre Montet dans son étude "Le sphinx A23 du Louvre", il rappelle : "Parmi les archéologues qui l'ont étudié, je citerai Boreux, Evers et J. Vandier qui s'accordent pour y voir une représentation d'un roi du Moyen Empire, de préférence Amenemhat II, vers 1960 avant notre ère. Un auteur plus récent, Wolfgang Muller, Panthéon 1960, l'attribue cependant à la VIe dynastie, ce qu'avaient déjà fait Capart et Selim Hassan."
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Sphinx provenant de Tanis - granite - H. : 1,83 m. - l. : 4,80 m. - L. : 1,54 m. Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre - A23 par acquisition de la Collection Salt en février 1826 - photo © 2003 Musée du Louvre / Erich Lessing
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Nadine Cherpion, dans "En reconsidérant le grand sphinx du Louvre A23", résume très bien ces "questionnements" : "Attribué tantôt à la XIIe dynastie et plus précisément à Amenemhat II, tantôt à la VIe ou même à la IVe dynastie, le grand sphinx du Louvre voit sa datation régulièrement remise en question. Si l’état actuel des inscriptions ne permet pas de résoudre définitivement le problème, de nombreux critères matériels situent indiscutablement le monument au début de l’Ancien Empire."
Il semble important de ne pas terminer cet article dans donner des informations sur l'autre sphinx avec lequel il formait une paire. C'est à nouveau Pierre Montet qui nous les fournit dans l'étude citée plus haut, publiée en 1963 : "Il avait un jumeau, brisé en plusieurs morceaux, qu'Alexandre Barsanti ramena au musée du Caire en 1905. On l'a restauré assez mal, et exposé sur une socle dans le jardin qui précède le musée. D'après ce qui m'en a été rapporté, le ciment s'est désagrégé, si bien que ce sphinx est de nouveau en morceaux.”
marie grillot
sources :Grand sphinx trouvé à Tanis - Département des Antiquités égyptiennes - A 23
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=2956&langue=fr
L'Egypte ancienne au Louvre, Guillemette Andreux, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, Hachette, 1997
La moisson des Dieux, Jean-Jacques Fiechter, Julliard, 1994
Lettres écrites d'Égypte et de Nubie en 1828 et 1829 (Nouv. éd.), par Champollion le jeune, Éditeur Didier (Paris), 1868 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103771z/f298.item.r=sphinx.texteImage
http://dlib.nyu.edu/awdl/sites/dl-pa.home.nyu.edu.awdl/files/lettresdechampol02cham/lettresdechampol02cham.pdf
Le Sphinx A 23 du Louvre, Pierre Montet
http://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1963_num_53_1_2106
En reconsidérant le grand sphinx du Louvre (A 23), Nadine Cherpion, in Revue d'égyptologie, 1991,
Mission française des fouilles de Tanis (MFFT)
https://www.ephe.psl.eu/mission-francaise-des-fouilles-de-tanis-mfft
Dictionnaire amoureux du Louvre, Pierre Rosenberg
Toutes les Egypte, Pascal Coste
The Sphinx That Traveled to Philadelphia: The Story of the Colossal Sphinx, Josef Wegner,Jennifer Houser Wegner
Superbe article
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