mercredi 17 mai 2017

La stèle de Ramsès II "enfant"

Stèle de Ramsès II enfant - calcaire - Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenance inconnue
Département des antiquités égyptiennes du Louvre - N 522 (par acquisition de la Collection Salt en 1826 - n° 3709)
photo © 2021 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps

 

Cette stèle en calcaire, haute de 18 cm, large de 13 cm, représente un jeune garçon, de profil, assis sur un confortable coussin. Son attitude est noble, étudiée, esthétique… "L'extrême maniérisme du style de cette petite stèle représentant un enfant royal la ferait dater du premier coup d'oeil de l'époque amarnienne, si le nom du pharaon qui y est gravé ne venait en infirmer cette position" analyse avec justesse Guillemette Andreu dans "L'Egypte ancienne au Louvre". Il est à rappeler également que, déjà, dans son "Guide-catalogue sommaire" des salles Charles X publié en 1932, Charles Boreux apportait cette remarque : "En dépit du cartouche de Ramsès II gravé sur le monument, Capart s’est demandé si celui-ci ne doit pas être attribué, en réalité, à Aménophis IV ; il appuie cette hypothèse sur la forme du vêtement porté par l’enfant royal, et aussi sur le fait qu’on a retrouvé, dans les ruines d'el Amarna, de minuscules pendeloques en émail figurant précisément le roi dans l’attitude que reproduit le bas-relief du Louvre"...

Cependant, cet artefact est bien "post amarnien" puisque le personnage, identifié par le cartouche, est Ramsès, Ouser-Maât-Rê Sétepenrê.
Stèle de Ramsès II enfant - calcaire - Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenance inconnue
Département des antiquités égyptiennes du Louvre - N 522 (par acquisition de la Collection Salt en 1826 - n° 3709)

Son crâne est rasé : seule subsiste, large et magnifiquement travaillée, la tresse latérale. Elle se termine par une boucle généreuse qui vient se lover dans le creux du cou. C'est bien là, typiquement, la coiffure de l'enfance dans l'Egypte ancienne. Elle est ornée d'un diadème-seched autour duquel s’enroule le corps du cobra dont la tête est dressée sur le front. Il est attaché à l'arrière du crâne, par un charmant noeud qui retombe élégamment en deux longs pans. 

Le visage est fin, l'oeil est très étiré, les sourcils et la ligne de fard sont bien marqués. Le nez est parfaitement proportionné, les lèvres sont minces. De l'oreille, que l'on ne voit pas, pend un magnifique ornement, composé d'un anneau et de quatre pampilles de perles rondes se terminant par un motif difficile à identifier.
Stèle de Ramsès II enfant - calcaire - Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenance inconnue
Département des antiquités égyptiennes du Louvre - N 522 (par acquisition de la Collection Salt en 1826 - n° 3709)

Le corps est vêtu d'un pagne de confection très recherchée. Il remonte au milieu du dos, retombe vers le nombril qu'il laisse dégagé puis descend jusqu'aux chevilles. Les plis délicats rendent de façon très réaliste la fluidité du lin. 

Le bras droit est replié alors que la main aux doigts très longs (connotation très amarnienne) se trouve au niveau de la partie inférieure du visage. L'index est porté à la bouche : un geste significatif attaché lui aussi à l'image de l'enfance. L'avant-bras gauche est posé sur les genoux d'où la main retombe, doigts tendus. Les poignets sont ornés de bracelets.
Stèle de Ramsès II enfant - calcaire - Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenance inconnue 
Département des antiquités égyptiennes du Louvre - N 522 (par acquisition de la Collection Salt en 1826 - n° 3709)
photo © 2021 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps

Les hiéroglyphes, joliment dessinés, se déclinent ainsi : une courte bande verticale en haut à gauche et une plus longue en haut à droite, comportant un cartouche. 

Le tout est "traité en relief levé, l'ensemble est modelé tout en nuances comme pour exprimer la grâce de l'enfance" (Guillemette Andreu).

On peut être surpris, étonné, que le grand Ramsès II, vainqueur de Qadesh, éminent bâtisseur, roi de Haute et Basse-Egypte pendant soixante-six années, soit ainsi représenté comme un enfant, alors que nous avons d'innombrables représentations monumentales du souverain … 

Comme très souvent dans l'art égyptien, il y a plusieurs "lectures"… 
Colosses à l'image de Ramsès II en façade de son temple d'Abou Simbel
Aquarelle de David Roberts

Christiane Desroches Noblecourt, dans son "Ramsès II, la véritable histoire", y voit : "L'enfant Ramsès, déjà couronné, co-régent de son père"… En effet précise-t-elle : "devant lui, le nom de couronnement : Ouermaâtrê, semble indiquer son état de souverain dès l'enfance".

Dans sa "Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X", Jean-François Champollion présentant la stèle sous la référence D54 évoquait "Sésostris, jeune et sous le costume du dieu Horus". 

Analyse reprise par Isabelle Franco dans "Pharaon", le catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du Monde Arabe à Paris en 2004-2005 : "Il faut chercher parmi les images divines le modèle de cette représentation pour en trouver la clef. L'enfance d'Horus est un élément essentiel des mythes fondateurs égyptiens. La jeunesse du dieu est synonyme d'immaturité et d'incapacité à agir. Le dieu juvénile et inexpérimenté incarne toutefois une phase capitale de la création, celle du rajeunissement perpétuel".

Quant à Christian Leblanc, il émet cette belle et intéressante interprétation : "Ramsès II enfant est ici l'enfant solaire, assis, comme posé sur le signe-akhet ou signe de l'horizon, cet horizon d'où chaque matin se lève le soleil régénéré ou rajeuni. Par cette image semble renforcée la forte relation qui pouvait exister entre le roi et son caractère essentiellement solaire".   

Le dos de la stèle comporte une scène qui représente le dieu Ptah au corps gainé, tenant un sceptre ouas orné des signes ankh et djed, face à un personnage debout en adoration. Il s'agit d'un vizir (Paser ?) vêtu d'un long vêtement, mais dont le visage a disparu.

Comment expliquer "l'association" de ces deux "images" ? Guillemette Andreu évoque cette interprétation : "Le rapport entre les deux faces n'est pas facile à établir, car on a perdu aujourd'hui toute trace du contexte cultuel qui accueillait ce petit monument. Le vizir voulait-il d'une part rendre hommage à Ptah, patron des arts et régent des jubilés royaux et d'autre part se placer sous la protection de Ramsès enfant ?"
Dos de la stèle de Ramsès II enfant représentant Ptah face à un vizir (Paser?) - calcaire - Nouvel Empire - XIXe dynastie - provenance inconnue
Département des antiquités égyptiennes du Louvre - N 522 (par acquisition de la Collection Salt en 1826 - n° 3709)
photo © 2021 Musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Christian Décamps

Cette stèle est arrivée au musée parisien grâce à l'insistance de Jean-François Champollion qui souhaitait que la France puisse acquérir l'exceptionnelle collection d'antiquités rassemblée Henry Salt, consul britannique en Egypte. Après de longues hésitations, "Charles X ratifia l'achat de la collection en février 1826 au prix demandé de 250.000 francs."  

Champollion est alors mandaté pour se rendre à Livourne, où il arrive le 15 mars, afin de dresser un inventaire descriptif des 4014 objets, puis d'en organiser le transport vers Paris. 
     Henry Salt                          Jean-François Champollion

Le 15 mai, il y apprend qu'une ordonnance de Charles X a créé la division des antiquités égyptiennes du musée Charles X et qu'il en est nommé premier conservateur.

C'est entre fin novembre et fin décembre 1826 que Champollion réceptionnera, à Paris, la collection Salt. Quant au département égyptien du Louvre, il sera inauguré le 15 décembre 1827.

Référencée N 522, cette stèle est exposée au premier étage de l'aile Sully, dans la salle 641 consacrée au "Nouvel Empire - Le temps des Ramsès".

marie grillot

sources : 
Stèle de Ramsès II enfant 
http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=car_not_frame&idNotice=17643&langue=fr
Jean-François Champollion, Notice descriptive des monumens égyptiens du Musée Charles X, Paris, Imprimerie de Crapelet, 1827, p. 59, D. 54
Paul Pierret, Catalogue de la Salle historique de la galerie égyptienne, Paris, 1882, p. 8, n° 2
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5611273m/f17.item.r=pierret+louvre.langFR
Emmanuel de Rougé, Notice sommaire des monuments égyptiens exposés dans les galeries du musée du Louvre, Musée Impérial du Louvre, Paris, Imp. Simon Raçon et Comp., 1855, p. 61
https://bibliotheque-numerique.inha.fr/idurl/1/12321 
Charles Boreux, Guide-catalogue sommaire, 2, Salles du premier étage, salles Charles X, Musée du Louvre, Paris, Département des Antiquités égyptiennes, Paris, Musées Nationaux, 1932, p. 479-480, pl. 66
https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/boreux1932bd2/0072/text_ocr
Jean-Jacques Fiechter, La moisson des Dieux, Julliard, 1994
Christiane Desroches Noblecourt, Ramsès II la véritable histoire, Pygmalion, Paris, 1996, p. 76-77
Christophe Barbotin, Elisabeth David, L'ABCdaire de Ramsès II, Paris, 1997
Guillemette Andreux, Marie-Hélène Rutschowscaya, Christiane Ziegler, L'Egypte ancienne au Louvre, Hachette, 1997
Pharaons - Catalogue de l'exposition présentée à l'Institut du monde arabe à Paris, du 15 octobre 2004 au 10 avril 2005, IMA, Flammarion, 2005

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