mercredi 3 mai 2017

La Céramique islamique dans le "joyau de Zamalek"

À gauche : photo de Janne Creste sur Flickr

Le ministère des Antiquités égyptien a décidé récemment la mise en oeuvre de la dernière phase de restauration du musée de la Céramique islamique, situé au 1, rue al-Sheikh al-Marsafi, Zamalek, le Caire. Il est donc encore temps de jeter un regard en coulisse pour nous familiariser avec cet établissement culturel avant sa réouverture prochaine au public
Photo St-Takla-org

Le bâtiment, dont on admirera l’élégance architecturale néo-ottomane, était originellement le palais du prince Amr Ibrahim (1903-1977), fils du prince Mohamed Wahid el-Dine et de la princesse Sahiha Ibrahim Hilmi. Il a été bâti en 1924 par l'architecte arménien Garo Balyan. "Construit à l'époque du nationalisme croissant et de l'opulence économique", il fut équipé de moucharabiehs, de dômes à motifs symétriques, de marbre de Carrare, d’une galerie des glaces... L’architecture est un amalgame de style classique européen et de styles marocain, turc et andalou. Dans ce "joyau de Zamalek", le prince mène une vie mouvementée. Devenu veuf, il y élève ses trois filles : Nimetallah, Amina et Indji. C’est là aussi qu’il voit sa fortune fondre peu à peu.

Le 9 novembre 1953, dans le sillage de la révolution menée par le Mouvement des officiers libres en juillet 1952, le palais est réquisitionné et devient propriété de l’État par ordre du Conseil du Commandement révolutionnaire. En compensation, son ex-propriétaire reçoit une pension qui lui permet de couvrir tout juste le coût de ses factures d’électricité mensuelles ! Le bâtiment sera tout d’abord utilisé comme club par l’Union socialiste arabe. Puis il sera réservé à l’accueil des peintures et sculptures de Mohammed Mahmoud Khalil dont le musée, jugé trop proche de la résidence du nouveau président Sadate, doit être laissé vacant à partir de 1971. Au cours du mandat présidentiel de Moubarak, les oeuvres de l’artiste ayant réintégré leur lieu d’origine, le palais d’Amr Ibrahim est rénové en 1998 par l’architecte égyptien Ali Raafat, professeur d’architecture à l’Université du Caire, et devient le Centre d’art El-Gezira, converti, en février 1999, en musée de la Céramique islamique, le premier du genre dans tout le Moyen-Orient.

Réparti sur 850 m² au rez-de-chaussée et au premier étage, le musée abrite une collection de céramiques (vases, pots, carreaux, tasses, bols, assiettes, pichets, lanternes...) de divers pays, du Maroc à l’Iran, et différentes périodes (omeyyade, fatimide, ayyoubide, mamelouke, turque, andalouse…). 

Plutôt que de tenter de synthétiser l’intégralité du catalogue de cette collection, portons notre regard - pour nous mettre en appétit - sur deux pièces qui ont plus particulièrement retenu l’attention du site internet "L’Égypte éternelle".
Tout d’abord le "chien attaquant lièvre". Ce pot en céramique lustrée peinte a une forme ovale. Sa base est étroite et le corps est divisé en trois sections. Chacune des sections est ornée d'une scène représentant un chien attaquant un lièvre. Une large bordure sépare chaque scène avec un dessin floral. "L'artiste a réussi à exprimer avec habileté le sentiment de terreur et de peur du lièvre en levant une de ses pattes de devant et en tournant sa tête vers l'arrière pour essayer de se débarrasser de cette prise. L'artiste a également illustré avec soin les caractéristiques anatomiques du chien et du lièvre. Même si les dessins du lièvre sont loin de la réalité, cette peinture dégage une impression générale de vie, de mouvement et de rapidité." Dimensions : hauteur 30 cm ; diamètre 10.5 cm.

Deuxième pièce : un saladier peint en bleu, blanc et noir, avec deux hexagones encastrés. L'intérieur du saladier est orné à partir du bord supérieur d'une bordure de branches fleuries d'où émergent des demi-palmettes et un feuillage stylisé. Elle est suivie d'une autre bordure dont une partie n'est pas décorée, entourée de fils noirs, puis de dessins géométriques et de dessins de fleurs en noir. Dimensions : hauteur 11,5 cm ; diamètre 28 cm

Une des principales formes d’expression artistique de la civilisation qui l’a inspirée, la céramique islamique témoigne d’une grande variété chronologique, géographique et technique. Sous ce seul dernier aspect, rappelle Maryvonne Cassan dans un dossier culturel du Musée national Adrien Dubouché (Limoges) : "l’art de la céramique islamique, remarquable par son aspect harmonieux, séduit aussi par l’emploi de la couleur et surtout par une décoration originale. (...) Si toutes les représentations humaines ou animales sont proscrites par le Coran dans les édifices religieux, il n’en est pas de même quand on aborde l’art profane. En effet beaucoup d’objets usuels, notamment en céramique, sont décorés de figures parfois stylisées (...). Dans le monde musulman, il existe donc un décor figuratif plus ou moins réaliste qui coexiste avec le décor géométrique."
"La céramique, précise également un dossier de la revue "Qantar", est l’un des arts majeurs de la civilisation islamique, et c’est de loin le matériel le plus représenté sur les divers sites archéologiques. Si les objets usuels non glacés, souvent non décorés, sont les plus fréquents, bien d’autres sont aussi exhumés : objets d’utilité courante mais glacés, productions plus luxueuses ornées selon des méthodes parfois très sophistiquées et même éléments de revêtements muraux. Les formes et les techniques traditionnelles ayant tendance à se perpétuer, il est souvent impossible de distinguer la céramique des tout premiers temps de l’hégire de celle des périodes précédentes. Très vite cependant, les potiers musulmans tirèrent des effets nouveaux de techniques déjà connues dans le monde romain, l’Iran sassanide et l’Égypte. Ils furent à l’origine de plusieurs procédés décoratifs et d’un répertoire qui, même influencé par les productions locales et celles apportées par les voies commerciales comme la Route de la Soie, devint rapidement emblématique d’un style considéré comme 'islamique'."

C’est la polyvalence et l’extrême, mais subtile, variété de cet : "art de façonner et cuire l’argile", tel que pratiqué en terres d’Islam, qui ont inspiré la création du musée cairote de la Céramique islamique, dont le contenu complète celui du musée d’Art islamique, récemment rénové et rouvert au public. "Le bel espace intérieur, orné de marbre ouvragé, confère à ce musée encore mal connu un cachet inouï." (Guide Geo) Un autre guide bien inspiré conclut par ce laconique, mais on ne peut plus explicite conseil : "À visiter absolument !"

Marc Chartier

sources :
Museum of Islamic Ceramics in Egypt
Middle East’s First Museum of Islamic Ceramics
l'Egypte Eternelle
La céramique islamique, par Maryvonne Cassan, professeur détaché de l’Education Nationale en collaboration avec Géraldine Vendé-Lobert, Limoges 2002.

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