samedi 18 juin 2016

Exposition "Champollion Intime" - Interview de Benjamin Findinier, directeur du "Musée Champollion - Musée des Écritures" à Figeac

Illustration inspirée du portrait de J.-F. Champollion
papier, encre, bois doré
© Musée Champollion, Vif, Département de l’Isère / Cliché Musée Dauphinois

À l'occasion des trente ans du "Musée Champollion - Musée des Écritures", la ville de Figeac (Lot) célèbre - une nouvelle fois - "l'illustrissime enfant du pays", Jean-François Champollion. L'exposition "Champollion Intime" a ouvert ses portes le 4 juin pour plus d'une année… Benjamin Findinier, directeur du musée, a accepté de nous présenter cet évènement qui va nous permettre de mieux connaître et de mieux comprendre celui qui, entre tous, est cher au cœur de ceux qui aiment l'Égypte. Celui qui, en déchiffrant l'écriture hiéroglyphique qui s'était éteinte du IVe siècle ap. J.-C., a d'une certaine façon redonné vie aux pharaons, en permettant que leur nom soit à nouveau prononcé, et nous a éclairés sur une civilisation dont la richesse de l'histoire ne cesse de nous émerveiller.
À cette exposition se conjugue notamment la publication de l’ouvrage "Correspondances, Figeac et les frères Champollion" de Karine Madrigal, chargée du dépouillement des archives Champollion aux Archives Départementales de l’Isère, que nous avions interviewée en février dernier.
Benjamin Findinier
directeur du musée Musée Champollion - Musée des Écritures

Égypte actualités : Le "Musée Champollion - Musée des Écritures" se trouve dans la maison qui a vu naître, le 23 décembre 1790, celui qui, 32 ans plus tard, découvrira la clé de l'écriture hiéroglyphique. Cette demeure a été donnée à la commune qui l'a ensuite - en 1986 - transformée en musée. Quelles ont été les grandes lignes de son histoire ?

Benjamin Findinier : La maison a été donnée officiellement à la commune en décembre 1976. Inoccupée depuis de nombreuses années, elle était alors en piteux état, frappée d'un arrêté de péril. Que fallait-il en faire : la détruire totalement ou plutôt… la démonter pierre à pierre pour la reconstruire ? C'est cette "belle" option qui a été prise et mise en œuvre, grâce entre autres au soutien financier de la commune, et l'on ne peut que s'en féliciter !
Figeac - photo Marie Grillot

L'autre question qui se posait était tout aussi importante : comment faire un musée lorsque que l'on ne possède rien ? À part un petit "espace singulier" qui lui était consacré au musée du vieux Figeac - comme un autel à sa gloire se résumant à un moulage de la pierre de Rosette et quelques décors gravés de temples égyptiens -, la ville n'avait rien d’égyptien ni de "personnel" ayant appartenu à Jean-François.

La volonté d'érudits locaux, appuyés par le soutien politique de Martin Malvy, va faire des merveilles et aboutir, en mai 1980, à la création du "Comité Champollion". Ils vont proposer de "réinvestir" la maison Champollion en créant un espace réservé non seulement à Jean-François mais aussi à son frère, Jacques-Joseph (la prise de conscience de son influence intellectuelle était effective, le tandem tendant à devenir indissociable)… avec, en toile de fond, bien sûr, l'égyptologie.

Des dépôts sont sollicités auprès du Musée du Louvre. Les musées de Rodez et de Cahors prêtent également des pièces. Et 10 ans plus tard, le 23 décembre 1986, le musée est inauguré… 23 décembre : jour anniversaire de la naissance de Jean-François !
Le musée, né une seconde fois sur le thème des écritures du monde, ouvre en 2007. Outre l'extension de sa thématique, l'extension spatiale est rendue possible par le rachat de deux maisons contiguës, donnant en façade, sur la place Champollion. Le musée triple ainsi son volume d'exposition, la "Rue des Frères Champollion" débouchant depuis 1991 sur un magnifique espace mis en scène par l'artiste américain Joseph Kosuth, pionnier de l'art conceptuel : la "Place des Écritures" dont le sol est une grande reproduction de la "Pierre de Rosette".
Vif - Photo Musée Champollion

ÉA : À 11 ans, Jean-François Champollion quitte Figeac pour rejoindre, à Grenoble, dans le département de l'Isère, son frère aîné Jacques-Joseph. Après son mariage, celui-ci s'installera dans une grande demeure, à Vif, à 17 kilomètres de là. Dès lors, cette "maison familiale" devient un endroit important pour eux ?

BF : Trois endroits ont véritablement compté dans la vie des frères Champollion : Figeac, bien sûr, Paris, et puis l'Isère avec Grenoble et Vif qui était pour eux un havre de paix. Cette "maison familiale" est passée entre les mains des différents héritiers de Jacques-Joseph Champollion jusqu’aux derniers, le couple Chateauminois qui a vendu la maison en 2001 au Conseil général de l’Isère ainsi que certains objets qui s'y trouvaient.
Bureau à gradin
© Musée Champollion, Vif, Département de l’Isère - Cliché Musée Dauphinois

ÉA : Pour cette exposition, le Département de l'Isère a justement accepté de prêter des objets personnels ayant appartenu à Jean-François. Quels sont-ils ?

BF : Parmi les objets très touchants que nous exposons se trouve le bureau de Jean-François. Un bureau à gradins à pieds sabot en bois précieux avec deux tiroirs et tablette en cuir avec allonges. Il a accompagné Jean-François rue Mazarine à Paris, puis a été ramené à Vif : il a donc très certainement été le témoin de l'intense effort intellectuel déployé par son propriétaire, le témoin de ses fatigues, de ses recherches, de ses doutes et de ses exaltations...
On note aussi la présence d'un moulage du caillou Michaux qui prouve qu'il s'intéressait aussi à d'autres écritures. Il s'agit en effet du premier "document" en cunéiforme qui entre en Occident. Cette écriture ne sera déchiffrée qu'au milieu du XIXe. Sa bible hébraïque - qu'il avait certainement en main dès sa scolarité grenobloise - rappelle aussi que, très tôt, il maîtrisait la lecture de cette écriture.
Et comment ne pas mentionner cette pièce historique : l'estampage de la pierre de Rosette, probablement une contre-empreinte réalisée par les soldats français et donnée par Fourier ? Elle lui a servi de document de travail. Les lignes en démotique sont numérotées de sa main. Lui a-t-elle été donnée par Young ? Nous ne le saurons probablement jamais.
Et puis des vêtements : un très beau manteau, un tarbouche rouge, un poignard d'apparat… 

Manteau en laine - Chéchia
© Musée Champollion, Vif, Département de l’Isère - Cliché Musée Dauphinois

ÉA : Le visiteur peut également découvrir des documents écrits ?

BF : Nous avons eu l'opportunité d'acquérir une lettre écrite par Jean-François, lorsqu'il se trouvait à bord de "L'Astrolabe" (le "bâtiment du roi" qui transporta, en 1829, certains membres de l'expédition franco-toscane d’Alexandrie à la France). Et nous avons également des lettres de Nestor l'Hôte, l'un des dessinateurs et peintres de l'expédition dont les dessins à la mine de plomb et aquarelles demeurent des témoignages magnifiques. Il restera auprès de Jean-François pendant tout le séjour en terre d'Égypte et, dans son sillage, se consacrera aux hiéroglyphes.
Lettre de Salvador Cherubini  - © Musée Champollion-Les Écritures du Monde 

ÉA : Et, en juillet dernier, votre musée a eu l'opportunité de pouvoir acquérir une partie des archives de Salvador Cherubini, un "autre" dessinateur de l'expédition - mais 'côté toscan'. Pouvez-vous nous rappeler les circonstances incroyables de cette acquisition ?

BF : J'ai reçu, un jour, un appel d'une dame qui m'informe qu'elle a retrouvé, dans son grenier, un lot d'archives du compositeur italien Luigi Cherubini. Au milieu de ces documents, se trouvent des lettres, écrites depuis l'Égypte, par son fils, Salvador Cherubini. Elle précise que ces documents doivent passer en salle des ventes quelques jours plus tard mais qu'un ami lui a indiqué que notre Musée serait certainement intéressé. Il est cependant trop tard pour que nous puissions nous porter acquéreurs. Les processus d'acquisition des musées sont en effet régis par des procédures administratives solidement réglementées, encadrées et contrôlées par un comité scientifique.
Elle décide finalement de surseoir à la vente et accepte d'attendre quelques semaines afin que nous puissions devenir propriétaires de ce lot extraordinaire !
Ces documents, de même que les lettres de Nestor L'Hôte, restent à être étudiés de façon approfondie. Nul doute qu'ils nous apporteront des informations intéressantes, et inédites, sur les conditions de vie lors de l'expédition, sur les personnes rencontrées, sur les sites visités, et sur la personnalité des membres.

ÉA : L'exposition est couplée à la parution d'un travail scientifique, mené par Karine Madrigal aux Archives Champollion de l'Isère, et ciblé sur la correspondance entre Champollion et Figeac : là aussi des inédits pour mieux le connaître et mieux appréhender son attachement à sa ville natale ?

BF : Depuis juillet 2010, en collaboration avec l'Association dauphinoise d'Égyptologie Champollion (ADEC), Karine Madrigal se consacre à l'étude des archives familiales des frères Champollion déposées aux Archives départementales de l'Isère.

Cet ouvrage - "Correspondances, Figeac et les frères Champollion" - est, comme son titre l'indique, plus particulièrement ciblé sur l'attachement figeacois, sur les liens amicaux entretenus à Figeac par les frères. Si leur vie se déroule dans l'Isère, ou à Paris, c'est à Figeac parfois que Jean-François vient trouver le repos pour son travail égyptologique...

Cette étude des archives familiales montre de façon avérée que, tout au long de leur vie, Jacques-Joseph et Jean-François s’entretiendront avec des Figeacois, se tiendront au courant des évènements survenus dans leur ville et bien entendu garderont un lien avec leur famille...

Propos recueillis par marie grillot

sources:
http://www.musee-champollion.fr/
Champollion, journal d'une vie, Musée Champollion Figeac
Correspondances, Figeac et les frères Champollion, Karine Madrigal, Musée Champollion, Figeac
Jean-François Champollion, Sa vie et son œuvre, Hermine Hartleben
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
http://egyptophile.blogspot.fr/2016/01/karine-madrigal-des-archives-pour-mieux.html?q=Vif
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/nestor-lhote-des-dessins-de-champollion.html?q=nestor
http://egyptophile.blogspot.fr/2015/09/jacques-joseph-lautre-champollion-le.html?q=Vif
http://egyptophile.blogspot.fr/2015/08/jean-francois-champollion-de-figeac.html?q=Vif
http://egyptophile.blogspot.fr/2015/03/champollion-rejoint-les-champs-dialou.html?q=champollion
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/23-decembre-1790-naissance-de.html?q=champollion
http://egyptophile.blogspot.fr/2014/06/champollion-de-lobelisque-de-louxor.html?q=champollion
"Musée Champollion : Les lettres inédites de son expédition":
http://www.ladepeche.fr/article/2015/08/28/2166141-des-lettres-inedites-de-son-expedition.html


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