vendredi 20 mai 2016

Le train de la modernité : les débuts du rail au pays des pharaons

Wagon du khédive Abbas Ier et affiche de l'Egyptian State Railways

Le chemin de fer en Égypte est l’un des plus anciens au monde. Quelques années après l’invention des machines à vapeur et leur première utilisation sur rails en Grande-Bretagne en 1820, une compagnie anglaise propose au vice-roi Méhémet Ali la construction d’une ligne ferroviaire entre Alexandrie à Suez, pour remplacer avantageusement les chameaux et les voitures à cheval sur la voie de terre reliant l'Europe à l'Inde et à l’Orient. Les colonisateurs britanniques et européens voient là une judicieuse alternative à la route du Cap de Bonne-Espérance. 

Le souverain égyptien donne tout d’abord son approbation à cette offre. Puis, il renverse la vapeur face à la pression de la France qui a un tout autre plan pour améliorer les voies de communication entre l’Occident et l’Orient : la construction d’un canal entre la Méditerranée et la mer Rouge.

En observateur politique réaliste , Raymond-Henri Fourcade écrit en 1836 : "Pour ce qui concerne le chemin de fer lui-même, il n'y a évidemment que la conscience d'un puissant intérêt politique qui puisse décider un gouvernement étranger à offrir à Méhémet-Ali son concours actif pour la réalisation d'une voie de communication aussi dispendieuse, et dans le fait si peu productive.” (“Notice sur la question d’Orient")
Affiches de l'Egyptian State Railways

Après avoir rappelé les difficultés techniques de la construction d’une ligne de chemin de fer dans une région désertique, Auguste-Frédéric-Louis Viesse de Marmont, duc de Raguse, souligne dans son récit de voyage, en 1837, ses réticences concernant une telle réalisation, ainsi que les inconvénients qu’elle présente, dus à la mobilité des sables, à la rareté des voyageurs et à la difficulté de trouver des mécaniciens "habiles".
Dans leur "Histoire sommaire de l'Égypte sous le gouvernement de Mohammed-Aly", ouvrage édité en 1839, Félix Mengin et Edme François Jomard n’en continuent pas moins de se faire les avocats de l’idée initiale lorsqu’ils écrivent : "Quant au chemin de fer du Kaire à Suez, c'est un travail plus facile [que le barrage sur le Nil], mais non moins utile. Ce chemin ne rencontrera sur son trajet aucune montagne, aucun fleuve, aucune forêt ; une série de petites plaines lui offriront une assiette solide, et il n'exigera presque aucuns travaux de terrassement. Sur ses deux bras de fer, allongés dans le désert, si l'on établit des voitures à vapeur, il vous transportera, en trois heures, du Nil à la mer Rouge. Suez deviendrait un faubourg du Kaire, et l'Égypte se rapprocherait de l'Inde qui lui rendrait alors son commerce."

Après la disparition de Méhémet Ali en 1849, son successeur, Abbas Ier Hilmi, entend redonner vie au projet trop vite abandonné. Il s’attache, par un contrat signé le 12 Juin 1851 moyennant la somme de 56.000 L.E., les services de l’ingénieur britannique Robert Stephenson pour la construction d’une ligne de chemin de fer entre le Caire et Alexandrie, puis d’une seconde reliant le Caire à Suez.
Carte postale ancienne - Ligne de chemin de fer Le Caire - Alexandrie

La première section, entre Alexandrie et Kafr el-Zayyat, à proximité de Tanta, est ouverte en 1854. Le second tronçon, jusqu’au Caire, est inauguré le 16 septembre 1856, sous le règne de Saïd Pacha, et l’extension du Caire à Suez sera terminée en 1858, onze ans avant l’inauguration du Canal de Suez.
Locomotive et travailleurs des chemins de fer - Magic Lantern Slide - 1890?

Le réseau ferroviaire prend ensuite progressivement les dimensions d’un maillage très dense, avec les liaisons Banha-Zagazig (1860), Tanta-Talkhâ (1863), le Caire-Zagazig, Tanta-Shibin el-Kom (1866), Imbaba-Minya (1867), Zagazig-Suez (1868)... D’autres localités seront ultérieurement desservies : Mallawi en 1870, Tourah en 1872, Assiout en 1874, Helwan en 1875, Kafr el-Sheikh en 1876, Girga en 1892, Nag Hammadi en 1896, Qena en 1897, Louxor et Assouan en 1898… En 1884, une ligne relie Assouan à Scellal, au Soudan : elle est utilisée à des fins militaires et, en 1898, elle rejoint le réseau national égyptien.

North British locomotive for Egyptian State Railways
(Howden, Boys' Book of Locomotives,1907)

Un bilan provisoire de ce gigantesque chantier est proposé par les "Annales de Géographie" en 1904 : "Les premiers travaux de chemins de fer entrepris en Égypte remontent à 1852 : commencée à cette date, la ligne d’Alexandrie au Caire fut ouverte à l’exploitation en 1856. Mais le véritable promoteur du réseau égyptien fut Ismaïl Pacha (1863-1879). Sous son gouvernement, les lignes se multiplièrent dans le Delta, des embranchements furent poussés sur Suez et sur Medinet el-Fayoum en même temps que dans la haute Égypte, le rail atteignait Siout et était entrepris le chemin de fer de Ouadi Alfa à Khartoum. Le réseau construit par Ismaïl Pacha aux frais de l’État avait lourdement chargé les finances égyptiennes. Lorsque en 1876, l’Europe assuma le contrôle de la dette, on décida de confier l’administration des chemins de fer à une Commission internationale et d’arrêter provisoirement toute construction nouvelle. Les travaux reprirent seulement quelques années après occupation anglaise. 
Actuellement le réseau égyptien atteint un développement de 3400 km environ, dont 2500 à voie normale, appartenant à l’État et 900 à voie étroite, appartenant à des compagnies privées auxquelles l’État assure une garantie d’intérêt."
Carte postale ancienne - Alexandria - Cairo Express - Egyptian State Railways

En 1914, les diverses compagnies opératrices privées qui avaient obtenu des concessions d’exploitation du réseau ferré égyptien (Delta Light Railways, Qena Assouan Railway, Chemins de fer économiques L'Égyptien Est, Chemins de fer de la Basse Égypte) réintègrent la compagnie nationale des Chemins de fer égyptiens, cette société exploitant par ailleurs des activités périphériques : compagnie de télégraphie, services de livraison de colis, une imprimerie, un magazine en arabe-anglais édité par Cooke.
Timbre édité par la poste égyptienne, en 1933, à l'occasion du  Congrès international des Chemins de Fer 

Une liaison ferroviaire particulièrement “sensible” est construite, de 1915 à 1918, dans le Sinaï, entre l’Égypte (el-Qantarah) et la Palestine (Rafah). Le climat d’insécurité et de tension dans la région, ponctué de périodes d’hostilité déclarée avec le voisin israélien, a eu pour conséquence la neutralisation, puis la suppression définitive de cette voie de communication. En 1967, durant la guerre des Six-Jours, l’armée israélienne, qui occupe la péninsule du Sinaï, détruit la ligne de chemins de fer et utilise les matériaux pour la construction de la ligne Bar-Lev, une chaîne de fortifications construite le long du canal de Suez.
Affiches des Messageries Maritimes et des Chemins de fer P.L.M. 

Sur l’apparition du transport ferroviaire en Égypte, Jean-Jacques Luth écrit : "La durée des voyages varie. À titre d’exemple, vers 1880, pour faire le trajet Alexandrie-le Caire (250 km environ), on met six heures par train ordinaire. L’express, lui, fait le même parcours en quatre heures. (...) Les voyageurs se plaignent souvent du non respect des horaires et de l’inexactitude des trains. Mais quand on apprend que les convois restent en gare dans l‘attente des pachas lorsque ceux-ci manifestent le désir de prendre le train, les retards s’expliquent sans difficulté et la mauvaise humeur des passagers aussi." Tel était, selon l’auteur, l’un des aspects de "La vie quotidienne en Égypte au temps des khédives". Un temps où l’Égypte a pris le “train” de la modernité, en adoptant très rapidement deux moyens de communication, considérés tout d’abord comme inconciliables : un réseau ferroviaire et… un certain Canal de Suez.

Marc Chartier


sources :
http://english.ahram.org.eg/NewsContent/32/138/152456/Folk/Photo-Heritage/Train-of-thoughts.aspx
http://www.dailynewsegypt.com/2013/05/08/egypts-railways-past-present-and-future/
https://en.wikipedia.org/wiki/Egyptian_National_Railways
http://egyptianchronicles.blogspot.fr/2008/09/today-in-history-first-egyptian-railway.html


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