vendredi 11 mars 2016

Jean-Joseph Marcel, un savant plein de caractères

Jean-Joseph Marcel (24 novembre 1776 - 11 mars 1854) imprimeur français attaché, en 1798,
à la commission scientifique de l'expédition d'Égypte

Son nom ne figure pas au gotha de l’égyptologie. Et pourtant, sa contribution à la connaissance de l’Égypte ancienne ne fut pas qu’anecdotique.

Petit-neveu de Guillaume Marcel, qui exerça les fonctions de consul général de France en Égypte, l’imprimeur français Jean-Joseph Marcel (24 novembre 1776 - 11 mars 1854) est attaché, en 1798, à la commission scientifique de l'expédition d'Égypte, en vertu de sa formation en langues orientales et des connaissances qu'il a notamment acquises auprès des orientalistes Louis-Mathieu Langlès, Silvestre de Sacy et Jean Michel Venture de Paradis.

Le voici donc embarqué à bord du vaisseau "L’Orient" qui appareille à Toulon le 19 mai 1798. Deux imprimeries sont stockées dans les cales, à destination d’Alexandrie, puis du Caire. Malheureusement, lorsque, pour des besoins de publication en cours de voyage, l’on ouvre les caisses dans lesquelles elles sont transportées, sans la moindre mention de haut et de bas, tous les caractères se retrouvent pêle-mêle. Donc immédiatement inutilisables. Se faisant aider par des soldats, Jean-Joseph Marcel réussit tant bien que mal à faire le tri et à reconstituer le puzzle des caractères indispensables pour une impression en bonne et due forme d’un document mémorable : la première proclamation du général Bonaparte, qui devait être diffusée en Égypte, lors du débarquement de l'armée. 

Parvenu à bon port, il installe et dirige l'Imprimerie nationale de l'armée. "Des presses françaises d’Égypte, écrit Faïka Croisier, sortiront les déclarations bilingues [en français et en arabe] adressées aux soldats et aux citoyens de l’Égypte (...). En plus de l’impression des ordres militaires destinés aux soldats, Marcel s’acquittera avec scrupule de la parution de deux périodiques : 'La Décade égyptienne', journal littéraire et d’économie politique, et le 'Courrier de l’Égypte'. Le premier fera paraître, entre octobre 1798 et mars 1801 (...) des articles consacrés aux mémoires et aux rapports des savants. Le second (...) publiera des nouvelles du Caire, des provinces d’Égypte et de l’Europe, ainsi que la relation des événements politiques et militaires." (Voyages en Égypte, de l’Antiquité au début du XXe siècle, 2003)

Outre ces travaux directement liés aux opérations de la Campagne d’Égypte, Jean-Joseph Marcel imprime un alphabet arabe, turc et persan, ainsi que des exercices de lecture d'arabe littéral, un vocabulaire français-arabe vulgaire, des mélanges de littérature orientale et une édition arabe-française des Fables de Lokman, une adaptation des fables d’Ésope qui devient un livre de chevet pour les arabisants débutants.

En plus de sa recherche de manuscrits et inscriptions qui serviront à la "Description de l'Égypte" - des travaux qui, “dignement appréciés” par l'Institut d'Égypte, lui valurent d’y être admis quelques mois avant la retraite de l'armée française -, il porte son intérêt sur la pierre de Rosette découverte le 15 juillet 1799 par un soldat français lors de la campagne d'Égypte. "Sa bonne connaissance de l’arabe et du persan, précise Robert Solé dans son ouvrage 'La pierre de Rosette', ne permet aucunement à Marcel d’accéder à la langue des pharaons, mais au moins a-t-il le souci de la précision."

Jean-Joseph Marcel écrit ainsi : "L’inscription hiéroglyphique renferme quatorze lignes, dont les figures, de six lignes de dimension, sont rangées de gauche à droite. La seconde inscription, qui avait d’abord été annoncée comme syriaque, puis comme copte, est composée de trente-deux lignes de caractères qui suivent le même sens que l’inscription supérieure, et qui sont évidemment des caractères cursifs de l’ancienne langue égyptienne. (...) L’inscription grecque, qui renferme cinquante-quatre lignes, est surtout remarquable en ce qu’elle contient plusieurs mots, entre autres celui de ‘Ftâ’ (Dieu), qui ne sont point grecs mais égyptiens, et indiquant par là l’époque à laquelle, malgré les efforts des Ptolémées, la langue idiotique des Égyptiens commençait à se mêler avec celle des Grecs, leurs conquérants, mélange qui, s’augmentant successivement, a fini vers le IVe siècle de l’ère vulgaire pour former la langue copte ancienne dont on trouve des restes précieux dans le copte moderne." (cité par Robert Solé)

Après cette identification "formelle", qui reste pour l’heure - en attendant les recherches de Champollion - étanche au contenu : "dans un zèle plein d’enthousiasme, poursuit Faïka Croisier, (l’imprimeur de la Campagne d’Égypte) fera (de la pierre de Rosette) une lithographie à fort tirage qui sera envoyée dans toute l’Europe". Pour ce faire, il met au point une nouvelle technique de reproduction : la stèle est recouverte d'encre ; puis un papier trempé est appliqué, sur lequel est pressé un tampon. 

De retour en France, Jean-Joseph Marcel est nommé, le 1er janvier 1803, directeur de l'Imprimerie de la République, qui deviendra ultérieurement Imprimerie Impériale. Il conservera ces fonctions jusqu’en 1815.

Il collabore alors à la rédaction de l’Histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte, d’après les Mémoires, matériaux et documents inédits communiqués par des généraux de l’armée d’Égypte et des membres de l’Institut du Caire, ouvrage dont il rédige l’introduction qui forme à elle seule un volume in-8°et porte le titre : "Histoire de l'Égypte depuis la conquête des Arabes jusqu'à celle des Français".

Il est par ailleurs choisi pour être l'un des rédacteurs de la célèbre "Description de l'Égypte", avec entre autres collaborations une "Description historique et paléographique du Méqyâs de Roudah", la "Description de la mosquée de Touloun", des planches d'inscriptions coufiques et karmatiques, de médailles et de pierres gravées, ainsi que d'autres planches relatives aux antiquités égyptiennes, etc. 

Ce savant de l’ombre, trop méconnu, n’en avait pas moins l’audace de ses convictions de chercheur attaché aux valeurs de l’Orient. Il est ainsi relaté que l’égyptologie lui doit : "plus de deux cents empreintes d'inscriptions inédites, qu'il a recueillies quelquefois même au péril de sa vie, en se faisant suspendre aux monuments sur lesquels elles se trouvaient placées".

Un autre haut fait de cette personnalité discrète est lié au saccage en 1798, par l’armée bonapartiste, de la célèbre mosquée d’al-Azhar. Jean-Joseph Marcel, qui se retrouve bien malgré lui embarqué dans cette expédition punitive, réussit à sauver des flammes, une fois encore au péril de sa vie, plusieurs précieux manuscrits, dont un exemplaire du Coran : "exemplaire unique, relié en cuir brun et décoré de fins entrelacs dorés" (ouvrage que l’on a retrouvé récemment dans une salle des ventes à Fontainebleau - France). Voici en quels termes il décrit son intervention périlleuse : "Je m’étais joint aux troupes qui furent commandées pour l’attaque de cette mosquée ; cependant j’avouerai que je fus entraîné à cette expédition volontaire, non par un enthousiasme guerrier et un désir de gloire militaire, mais par l’intention de chercher à sauver du désastre qui se préparait quelques-uns des manuscrits précieux, dont je savais que cette mosquée était enrichie. J'ai en effet réussi à retirer des flammes, sous les balles des assaillants et des assiégés, quelques manuscrits acquis ainsi au risque de ma vie."

Jean-Joseph Marcel : un savant de l’ombre... auquel l’Expédition d’Égypte, et sans nul doute, l’égyptologie elle-même doivent quelques-unes de leurs plus lumineuses découvertes. 

Marc Chartier

sources :
"Notice nécrologique et littéraire sur M. Jean-Joseph Marcel", par François-Alphonse Belin, N° 7 du “Journal asiatique”, 1854
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k56256152/f2.item.texteImage
http://egyptophile.blogspot.fr/2016/01/la-pierre-de-rosette-enfin-au-louvre.html

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