mardi 8 mars 2016

Daraw, Birqash : la bosse du commerce !

Marché aux chameaux de Daraw (photo Eve Sepulveda)

Daraw et Birqash, deux localités égyptiennes distantes de quelque 800 km, ne sont pas à proprement parler des paradis pour animaux. Les dromadaires qui y transitent doivent s’attendre à des heures peu paisibles, soit comme de futures bêtes de bât ou de selle, soit dans un abattoir pour finir sur un étal de boucherie. 

Daraw, première étape de cet itinéraire en terre égyptienne, est une ville située à 8 km au sud de Kom Ombo. Elle marque traditionnellement l’entrée en pays nubien. Elle est surtout connue pour son marché hebdomadaire aux dromadaires. Ces ruminants proviennent du désert oriental et du Soudan (provinces de Darfour et de Kordofan), par l’une des grandes pistes caravanières encore en activité : la fameuse "darb al-arba’în", "piste des 40 jours", qui reliait Kobbé à Assiout et fut, à partir du XVIIe siècle, empruntée pour le commerce des esclaves.
Marché aux chameaux de Daraw  (photo Eve Sepulveda)

"Quand le commerce des esclaves fut aboli, écrit Isabelle Dalmau, celui des dromadaires s'y substitua, reprenant alors certaines des structures commerciales existant déjà sur le même axe géographique. La période située entre l'abolition de l'esclavage dans les textes (fin du XIXe siècle) et la fin réelle de ce commerce (vers 1930) allait voir le dromadaire passer de la fonction d'animal de transport à celle d'animal de boucherie" ("Transformations de l'élevage et de la commercialisation du cheptel camelin entre le Soudan et l'Égypte").

Mohamed a travaillé à Daraw durant quarante ans. "C'est en regardant les dents, les pattes ou encore la bosse des chameaux que l'on estime leur valeur (...), explique-t-il. Les ventes s'effectuent sans aucun contrat. Celui qui achète les chameaux repart avec ses bêtes et ne les paie parfois que plusieurs mois plus tard ; cela ne pose jamais de problème".

Sur le marché, les discussions vont bon train. Après avoir ausculté les chameaux avec attention, les participants assis à même le sol engagent une discussion qui se terminera parfois par un accord, symbolisé par une simple poignée de main. Une patte attachée pour garantir leur immobilité, les chameaux blatèrent bruyamment, donnant à la scène une incroyable authenticité. Daraw, depuis la nuit des temps, est le théâtre de ce cérémonial. L'Égypte antique est à deux pas ; mais Daraw la fait revivre à chaque marché" (Karavel.com).
Transport de chameaux (photo marie grillot)

Après la période de quarantaine, les formalités douanières et toutes les tractations commerciales, le troupeau est divisé et chargé, pour la plus grande partie, sur des camions qui transporteront les bêtes jusqu’à la deuxième étape de l’itinéraire : le "souq al-gamal" du Caire, l'un des plus grands marchés du genre en Afrique (1,5 km²) où les marchands, qui viennent de tous les coins du pays, se rassemblent pour vendre et acheter des chameaux transportés non seulement du Soudan, mais également de Somalie et de Libye. Plus de 2.000 bêtes y sont vendues chaque jour. 

Jusqu'en 1995, ce marché se tenait à Embaba, dans la banlieue ouest du Caire. Puis, sans doute pour des questions à la fois d’espace et de salubrité publique, il été déplacé à Birqash, à 35 km au nord-ouest du Caire, au bord des terres cultivées du Delta. 

Certaines têtes sont achetées par des agriculteurs égyptiens, d'autres sont exportées vers les pays du Moyen-Orient. Mais une grande partie des animaux est destinée aux abattoirs de la capitale. 

Les enchères sont faites à la criée. Le prix d’un jeune chameau d’origine soudanaise, entre 4 et 9 ans, varie de 7.000 à 10.000 LE, en fonction de son apparence physique. Les dromadaires adultes sont vendus environ 11.000 LE. Dès qu'une enchère est conclue, le dromadaire est parqué dans un lieu à part où il est marqué sur le côté de sa bosse.
Marché aux chameaux de Daraw (photo VeroEddy.be)

Le marché aux chameaux de Birqash joue un rôle très important dans l’économie du pays, car la viande des camélidés est la viande rouge la moins chère en Égypte et représente même une option plus saine que le bœuf. "Les chameaux qui sont amenés des villes du Soudan de Limrat et El Obeid, précise Rany Mostafa dans un article de "Youm7", sont considérés comme les meilleurs en termes de qualité de la viande. En effet, ils sont bien nourris, à partir d’une végétation épineuse, de brindilles, de feuilles séchées et de chair de poisson".

Quel volume représente ce marché ? "Dans une étude de l’industrie de la viande en Égypte, Alim (1976) a indiqué que la population locale de chameaux avait baissé de 37,7 %, passant de 175.000 têtes à 109.000 entre 1967 et 1974. Cette régression coïncidait avec un accroissement du nombre des abattages qui, de 53.000 chameaux en 1973, était monté à 64.000 en 1974. Au cours de la période, la part de la viande de chameau dans l’approvisionnement intérieur en viande était passée de 14.000 t à 17.000 t." (E. Mukasa-Mugerwa, Le chameau (Camelus dromedarius) : étude bibliographique, 1985).

Lorsque les touristes, sur le site des pyramides de Guizeh, complètent leur visite par une randonnée juchés sur ces "vaisseaux du désert", ils pourront ainsi se rappeler d’où proviennent ces bêtes capricieuses qui leur servent de montures, tout en appréciant le sort moins glorieux auquel elles ont échappé, quelque part sur le vaste marché de Birqash et, sans doute auparavant, celui de Daraw.

Marc Chartier

sources
Transformations de l'élevage et de la commercialisation du cheptel camelin entre le Soudan et l'Égypte, par Isabelle Dalmau - https://ema.revues.org/1452
Le chameau (Camelus dromedarius): étude bibliographique, par E. Mukasa-Mugerwa, ILRI (aka ILCA and ILRAD), 1985
http://thecairopost.youm7.com/news/133461/inside_egypt/birqash-camel-market-an-unforgettable-experience-in-cairo

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