samedi 31 octobre 2015

Des manuscrits de Ménandre au tombeau de Pétosiris, les belles découvertes de Gustave Lefebvre

Gustave Lefebvre - égyptologue (Bar-le-Duc 17-7-1879  - Versailles 1-11-1957)
Papyrus de Ménandre dans "Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire N° 43227 - Papyrus de Ménandre (1911)" de Gustave Lefebvre
Scènes du tombeau de Pétosiris dans "Le tombeau de Pétosiris" de Gustave Lefebvre

Gustave Lefebvre est né le 17 juillet 1879 à Bar-le-Duc, en Lorraine. Des études de Lettres, plus que brillantes, le mènent à une agrégation de grammaire, en 1900. "Grammairien dans l'âme, il n'a jamais été l'esclave de la grammaire. Celle-ci était pour lui un moyen plutôt qu'une fin, un instrument de choix, qu'il maniait avec une joie particulière.”(Jean Sainte Fare Garnot).

Dès 1901, il est membre de l'École française d'Athènes. C'est Pierre Jouguet, ancien "athénien" lui-même (qui avait été appelé en Égypte par Jacques de Morgan, en 1894, pour "le classement des antiquités grecques en Égypte") qui lui fera prendre le chemin de l'Égypte. Il faut se souvenir que, quelques années auparavant, Gaston Maspero avait décidé d'explorer cette direction encore mal connue : "L'archéologie de l'Égypte de l'antiquité tardive". Il s'en donna les moyens et, dès lors, les fouilles livrèrent de nombreux monuments, papyrus, ostracas qu'il fallait étudier et décrypter.

Gustave Lefebvre devient l'assistant de Jouguet dans le Fayoum sur les sites "de Médînet Madi, de Médînet Nahas (Magdola), d'El-Maâbda (grotte aux momies de crocodiles)".

Dès l'année suivante, en 1903, il dirige, seul, les fouilles de Théna. En 1904, il revient temporairement en France où il occupe une chaire de Lettres à Valenciennes.


Gustave Lefebvre - égyptologue (Bar-le-Duc 17-7-1879 - Versailles 1-11-1957)

En 1905, Maspero, qui a apprécié ses méthodes de travail, le nomme inspecteur du service des antiquités de Moyenne-Égypte à Assiout. Il y résidera pendant neuf ans, et après son mariage en 1907, s'y installera avec femme et enfants.

On imagine la difficulté d'alors pour 's'acclimater' en étant loin de tout, notamment des commodités de la capitale égyptienne et de sa communauté française. Son "territoire" est important et son travail très prenant : "Tout en s'occupant de former les inspecteurs régionaux dont il avait besoin pour la surveillance du domaine étendu qui lui avait été confié, il dut sans relâche parcourir lui-même les sites antiques, tantôt pour empêcher l'usurpation de parties de leurs territoires par les fellahs, tantôt pour s'opposer à des fouilles clandestines, tout cela n'allant pas sans de fréquents recours aux tribunaux."

En juillet de la première année de son mandat, par un incroyable concours de circonstances, il en vient à découvrir, sous un monticule de sebakh à Kôm Ishkaou, les archives d'un notaire de l'époque grecque : "cent cinquante rouleaux, la plupart grecs, papiers d'affaire et testaments". Mais l'immense découverte réside en celle de manuscrits de Ménandre, un auteur comique grec du IVe av. J.-C., "restituant treize cents vers inédits du poète", qu'il déchiffrera et publiera. Deux années plus tard, en 1907, il publie son premier ouvrage, un "Recueil des inscriptions grecques-chrétiennes d'Égypte".

Il semble que Maspero pensa à lui pour de hautes fonctions, mais probablement par manque de confiance en lui, il refusa.
1912 : chantier de fouilles de Tell el-Amarna, Moyenne-Égypte

Le 20 janvier 1913, Lefebvre est près des égyptologues allemands pour le partage de la saison de fouilles menée dans l'ancienne capitale amarnienne. Voici le récit qu'en fait Ludwig Borchardt dans un courrier adressé à Gaston Maspero : "Monsieur Lefebvre est venu aujourd'hui procéder au partage des objets trouvés cette année. Le partage à moitié exacte lui a été visiblement pénible. Il s'est cependant efforcé avec une extrême amabilité de ne pas trop nuire aux intérêts scientifiques. Des ensembles d'objets ont dû, malgré tout, être séparés. Il n'en est pas responsable. Cela tient à cette nouveauté que nous déplorons tous les deux, je le sais bien." C'est par ce partage que "Borchardt, son commanditaire, son mécène et les musées berlinois devinrent les détenteurs du buste de Néfertiti".

Il faut cependant préciser que cette notion de "partage à moitié exacte" était une pratique nouvellement en usage mise en place par l'administration britannique et qu'elle n'avait pas reçu l'aval de Gaston Maspero.

Le buste de Nefertiti a été découvert le 6 décembre 1912 à Tell el-Amarna,
dans les ruines de l’atelier du sculpteur Thoutmes, par Ludwig Borchardt
Le 20 janvier 1913, Gustave Lefebvre est avec les égyptologues allemands
pour le partage de la saison de fouilles menée dans l'ancienne capitale amarnienne

Les polémiques concernant ce partage n'ont jamais cessé : légendes ? fausses vérités ? Par exemple : est-ce vrai que Borchardt, connaissant l'intérêt et la passion de Lefebvre pour les papyrus, en avait déposé pléthore sur le dessus des caisses afin de focaliser son intérêt, le détournant ainsi d'autres objets, et plus particulièrement des statues ? Le buste a-t-il été maquillé, pour en dissimuler la beauté ? Il faut rappeler qu'alors, l'art amarnien n'avait pas l'aura et l'adhésion qu'on lui connaît aujourd'hui et, que, ne serait-ce que quelques mois auparavant, Gaston Maspero, évoquait la "silhouette grotesque que les sculpteurs d'El-Amarna ont prêtée [à Akhénaton]" : "À les en croire, il aurait été physiquement une sorte de dégénéré, long, débile, aux hanches et à la poitrine de femme, au cou sans consistance, au chef ridicule : un front aplati et presque nul, un nez énorme, une bouche disgracieuse, un menton massif. Il semble s'être complu à ces images en charge." Nous ne répondrons pas à ces questions…
Tombeau de Pétosiris, découvert par Gustave Lefebvre en 1919

Lors de la grande guerre, Gustave Lefebvre est mobilisé et occupe un poste d'interprète. En 1919, dès son retour sur le "terrain", les indications d'un habitant d'Ashoumounein le mènent à une découverte retentissante : le tombeau de Pétosiris, un grand prêtre de Thoth. "Il s'agissait là d'un type de sépulture, ‘le temple tombeau’ dont on ne soupçonnait même pas alors que les anciens Égyptiens en aient jamais conçu l'idée." Il étudiera et publiera ce tombeau, tout en dégageant les chapelles voisines.

Cette même année, il est nommé conservateur-adjoint du musée du Caire ; il en sera nommé conservateur en chef en 1926. C'est ainsi qu'en 1928, il aura la charge - et l'honneur ! - de mettre en exposition les trésors tout juste sortis de la tombe de Toutankhamon. C'est à lui que l'on doit la présentation du trésor, la notion de muséographie n'existait pas alors.

En parallèle, il trouve le temps et l'énergie de soutenir deux thèses de doctorat : "Histoire des Grands Prêtres d'Amon de Karnak jusqu'à la XXIe dynastie", comme thèse principale, et "Un recueil d'Inscriptions concernant les Grands Prêtres d'Amon Romê- Roy et Amenhotep", comme thèse secondaire.
Gustave Lefebvre - égyptologue (Bar-le-Duc 17-7-1879  - Versailles 1-11-1957) 

Des problèmes de santé (il faillit perdre la vue en raison d'un décollement de la rétine), qui expliquent aussi son intérêt pour les papyrus médicaux, le contraignent à rentrer en France. Il se consacrera dès lors à l'enseignement de la philologie égyptienne à l'École Pratique des Hautes Études. Ses élèves deviendront ses "disciples" et auront pour lui une immense admiration. "D'où venait, à nos yeux, le prestige de Gustave Lefebvre, et sur quoi se fondait l'extraordinaire autorité que, sans jamais hausser la voix, le maître exerçait sur nous ?" 

La mort de son fils lors de la Seconde Guerre mondiale l'ayant grandement fatigué, il prit sa retraite en juin 1948. 

Il s'est éteint à Versailles le 1er novembre 1957. Jean Sainte Fare Garnot saluera "sa personnalité attachante, son amour du métier, son sens du devoir". Étienne Drioton, lui-même lorrain et égyptologue, rappellera "sa rigueur et sa prudence scientifiques". Quant à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, elle honorera sa mémoire par la voix de l'un de ses membres, André-Jean Festugière : "Son œuvre est vaste et diverse, et tout ce qu'il apporte contient de grandes richesses, non pas seulement par la teneur même des textes ou des monuments publiés, mais par les voies nouvelles que ces textes ou ces monuments ouvrent à l'historien."

marie grillot

Pour en savoir plus
http://www.ifao.egnet.net/bifao/58/ - Jean Sainte Fare Garnot, nécrologie notre maître Gustave Lefebvre
Clère Jacques J., “Gustave Lefebvre (1879-1957)”. In: École pratique des hautes études, Section des sciences historiques et philologiques. Annuaire 1959-1960. 1960
http://demo.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1959_num_1_1_4472?h=gustave&h=lefebvre
Eloge funèbre de M. Gustave Lefebvre, membre de l'Académie
Perrin, Charles-Edmond - Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1957 Volume 101 Numéro 4 pp. 352-356
Notice sur la vie et les travaux de M. Gustave Lefebvre, membre de l'Académie
Festugiere, André-Jean, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1959 Volume 103 Numéro 1
http://demo.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1959_num_103_1_10998?h=gustave&h=lefebvre

Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire N° 43227 Papyrus de Ménandre (1911), Lefebvre, Gustave (1879-1957)
https://archive.org/details/LefebvrePapyrusMenandre1911

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