vendredi 18 septembre 2015

Hassan al-Shark, peintre : quand l'art "baladi" explose et s'expose


Étrangement, il est plus connu à l’étranger que dans son propre pays. Il se taille même une très belle et éloquente réputation internationale grâce aux expositions qu’il a réalisées, outre dans quelques pays du Moyen-Orient, aux États-Unis, en République tchèque, en Allemagne, en France (au Louvre, excusez du peu !), en Suisse, en Suède, en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas…

Né en 1949 dans le petit village de Zawyet Sultan (gouvernorat de Minya) où il vit encore aujourd’hui, Hassan al-Shark, fils du boucher local, commence tout jeune à dessiner, à peindre en utilisant du papier d’emballage récupéré dans l’échoppe de son père et ses propres couleurs : en fait des sortes de mixtures à base de feuilles de palmier et d’épices qu’il se procure chez l'herboriste du coin (du safran pour produire du jaune, de la réglisse pour le brun…). En un mot : il est entièrement autodidacte, jusqu’au jour où il peut s’inscrire à la Faculté des Beaux-Arts de l’Université de Minya. Au besoin, pour se faire la main, il décore les murs de ses maisons du village. On l’admire, on l’encourage. Certains villageois, par contre, n’ayant jamais vu un jeune aussi passionné de peinture, pensent qu’il est habité par quelque djinn, tellement ses dons sont précoces et, à leurs yeux, étranges !

Que peint-il ? Ce qu’il a sous les yeux, à savoir la vie et les activités quotidiennes de son village : des hommes moustachus, des femmes femmes portant une jarre sur la tête, des musiciens joueurs de flûte ou de rababa (instrument à cordes), des chats, des poules, des palmiers, des étals de marché, des poissons, le Nil, des felouques… En mettant tout cela en forme de manière plus académique, on peut dire qu’il est inspiré "par son lieu de naissance, la civilisation islamique et l'Égypte ancienne". La couleur est là, foisonnante. Le trait est assuré, simple, s’inscrivant dans ce qu’il est convenu d’appeler l’art "naïf".

L’artiste sait également relier son inspiration à des sources littéraires, comme "El-Sira El-Hilaliya" (conte épique retraçant l’histoire de la tribu bédouine des Bani Hilal et sa migration au Xe siècle de la péninsule d’Arabie jusqu’en Afrique du Nord) ou les poèmes de Salah Jahine et de Mohamed El-Boghdady.



1984 est une date clé dans le parcours artistique d’al-Shark. La critique d'art allemande Ursula Shernig est de passage dans son village. Elle découvre son talent, ses réalisations. Aussitôt, elle organise pour lui deux expositions : l’une au Caire et une autre en Europe. Le succès est immédiatement au rendez-vous. Les quarante tableaux exposés sont vendus rapidement. 

Hassan al-Shark réalise par la suite de nombreuses expositions individuelles, tout en participant entre-temps à des expositions collectives. Le 7 juillet 2014, il est invité à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, pour y exposer certaines de ses oeuvres en marge d’une conférence sur l'artisanat et les savoir-faire traditionnels.

Les honneurs ne détournent toutefois pas l’artiste de ses racines : c’est dans son village d’origine qu’il se plaît à se retrouver, à se ressourcer, à peindre. En 2010, il décide même de transformer sa maison en un musée pour y exposer ses oeuvres et, ce faisant :  "initier les gens du village - qu’il accueille gratuitement - à l’art et à la beauté". Dans des ateliers hebdomadaires, il enseigne bénévolement les rudiments de la peinture aux jeunes des écoles.

Alors que des thèses et autres savantes études ainsi que des documentaires sont consacrés à son art naïf, l’Égypte, son pays, ne l’a jamais honoré de la moindre distinction. Mais là n’est pas sa véritable préoccupation. Revêtu de sa galabeyya, il continue de se fondre dans la vie traditionnelle de son village, à partir de laquelle il puise son inspiration. "Je sens que j’ai encore beaucoup à donner en tant qu'artiste, confie-t-il. J’aime ce pays, l'esprit de son peuple, ses traditions oubliées. J’essaie toujours de ramener mes peintures à la vraie vie et à mon identité. Malheureusement, je ne pense pas que l'Égypte - ou pour le moins ses représentants officiels - apprécie l'art ou ce que j’ai fait pour montrer combien j’aime ce pays." 

Grandeurs et désillusions d’un artiste. D’un véritable artiste.

Marc Chartier

sources :
http://egypttoday.com/blog/2015/04/19/the-village-museum/
http://hassanelshark.com/
http://www.stringers-tv.com/915/




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