Pierre Jouguet |
C'est fin 1927 que Pierre Jouguet est nommé à la direction de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire (IFAO). Son parcours a été un peu "atypique". C'est un "hellénisant" qui rejoint le monde de l'égyptologie ! Élève de l'École normale supérieure, agrégé de grammaire, il a été pendant 3 ans (1893-1896) membre de l'École d'Athènes. En 1894, son directeur le choisit : "pour répondre à l'invitation adressée par Jacques de Morgan, directeur des Antiquités d'Égypte, de détacher à l'Institut du Caire un jeune "athénien", qui serait chargé du classement des antiquités grecques en Égypte".
Il part en mission sur de nombreux sites gréco-romains où il fait des découvertes remarquables, papyrus, ostracas... Il s'initie : "seul à la paléographie des papyrus, qui n'était enseignée nulle part en France". Nommé à la faculté de Lille en 1898, il y fonde le premier institut de papyrologie. Il fait naître chez un autre "athénien", Gustave Lefebvre, le même intérêt pour l'étude des papyrus et ils collaboreront sur de nombreuses missions, dont une très importante dans le Fayoum.
En 1911, il publie sa thèse de doctorat. Dès 1912, il donne des cours à l'École pratique des hautes études. De 1920 à 1928, il enseigne à la Sorbonne où il fonde l'Institut de Papyrologie de l'université́ de Paris. Son expertise est connue et reconnue, et il est souvent fait appel à lui.
Pierre et Blanche Jouguet à gauche
au mariage de leur fille Marguerite (“Mimi”)
avec Jean-Philippe Lauer
1er octobre 1929 - église Saint-Sulpice Paris |
En janvier 1828, la famille Jouguet prend possession du palais Mounira, siège de l'IFAO. Il est d'usage, pour tout fouilleur, de venir saluer le nouveau directeur de l'institut. Jean-Philippe Lauer raconte ainsi sa première rencontre : "Je fus chaleureusement reçu par Pierre Jouguet. C'était, à ma surprise, un homme de petite taille, tout en rondeur et en dynamisme, la tête auréolée d'une lourde crinière blanche. De contact facile, jovial, il avait le regard pétillant d'intelligence et tout en lui reflétait une bonté extraordinaire. Je suis resté pendant tout notre entretien sous le charme de ce grand savant." Jean-Philippe Lauer ne savait pas alors que cet homme qu'il admirait dès sa première rencontre allait devenir son beau-père dès l'année suivante ! Entré dans son intimité, l'admiration qu'il ressentira pour lui ne faillira jamais : "Pierre Jouguet qui avait une légère tendance à se mésestimer a toujours gardé la tête froide face à tous les honneurs que sa fonction impliquait, en particulier en Orient. Il était en revanche très touché par l'attachement que lui manifestait le petit personnel de l'Institut quant il quittait Mounira pour quelque temps."
Pierre Jouguet |
En 1930, à l'initiative du roi Fouad, Pierre Jouguet fonde la Société́ royale égyptienne de Papyrologie, dont il est nommé président. Elle deviendra, à la mort du roi, la Société́ Fouad I de Papyrologie.
À l'Institut, Pierre Jouguet est un directeur aimé, apprécié et juste. Ainsi en témoigne cette anecdote. En 1938, tout en demeurant chargée de mission au Louvre, Christiane Desroches Noblecourt est nommée pensionnaire de l'IFAO. Cette nomination n'est pas du tout du goût de ses anciens confrères qui : "allèrent en délégation demander au directeur de l'IFAO d'annuler sa nomination". Ainsi rapporte-t-elle : "La réponse de cet honnête homme et grand savant qu'était Pierre Jouguet fut immédiate : il m'installa naturellement à l'Institut (l'ancien palais Mounira) au Caire, puis m'affecta aux fouilles franco-polonaises d'Edfou, organisées par l'Institut français et l'Université de Varsovie."
En 1940, Pierre Jouguet a 71 ans et il souhaite prendre sa retraite, laissant la direction de l'institut à Charles Kuentz . Mais : "le gouvernement de l'Égypte, conscient de sa valeur hors de pair, désira l'attacher au haut enseignement du pays et le nomma professeur à l'Université égyptienne du Caire".
Il reste donc au Caire où la Seconde Guerre mondiale divise la colonie française. La position que prend Pierre Jouguet : "sans un instant d'incertitude, et qu'il affirma sans défaillance, en dépit de ruptures douloureuses à un cœur aussi fait pour l'amitié que le sien, fut d'une absolue netteté. Pierre Jouguet fut alors en Égypte comme l'incarnation même de l'esprit de la France ; ce grand savant témoigna qu'il était un grand Français et, tout simplement, un homme".
En avril 1941, le comité national qu'il préside accueillera le Général de Gaulle avec enthousiasme. Le Général s'en souviendra et lorsqu'il mettra en place le gouvernement provisoire de la France libre, en 1944, c'est vers Pierre Jouguet qu'il se tournera pour nommer des conseillers culturels à Beyrouth, Athènes et au Caire.
En 1946, Pierre Jouguet reçoit la médaille de la Résistance. Loin d'en être fier, il est furieux car dit-il : "elle ne devrait être donnée qu'à ceux qui ont combattu" !
Début mai 1949, souffrant, il rentre en France ; il pense vaincre la maladie, mais elle progresse soudainement et l'emporte le 9 juillet 1949... Les messages de condoléances affluent. Les hommages aussi. "Bien souvent il a pris position dans des questions très difficiles et âprement discutées sans se cantonner dans un petit secteur. Son érudition était merveilleuse. Mais il ne s'est jamais perdu dans le détail. Clair dans ses idées comme dans son langage, il montrait la voie aux autres, embrassant d'un coup d'œil le grand chantier de l'histoire de l'antiquité et sachant fort bien jusqu'où il pouvait s'avancer."
Les regrets exprimés par ses amis sont poignants. "Aucun de ceux qui l'avaient connu ne pourrait en effet oublier l'accueil lumineux de ses yeux chauds"... et Gaston Wiet, directeur du musée d'art islamique du Caire, murmurera en sortant de la chambre mortuaire ces mots magnifiques : "Il est plus que beau. Il est lumineux."
Pierre Jouguet, s'était éteint, mais pas aux yeux de ceux qui l'aimaient...
marie grillot
sources :
“Who Was Who in Egyptology”, Bierbier, M., London, Egypt Exploration Society
“Une passion égyptienne, Jean-Philippe et Marguerite Lauer”, Claudine Le Tourneur d'Ison, Plon, 1996
Jacques Zeiller , “Éloge funèbre de M. Pierre Jouguet, membre de l'Académie
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1949_num_93_3_78416
Peremans Willy, “Pierre Jouguet (1869-1949)”, in: Revue belge de philologie et d'histoire. Tome 28 fasc. 3-4, 1950. pp. 1576- 1577.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rbph_0035-0818_1950_num_28_3_5318
http://www.facebook.com/l.php?u=http%3A%2F%2Fwww.france-libre.net%2Fcomite-fl-egypte%2F&h=1AQECrP46
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