vendredi 4 juillet 2014

Chateaubriand aux pyramides : mémoire d'autres tombeaux

Lékégian & Cie

Au cours d’un voyage qui le conduisit de Paris à Jérusalem, François-René, vicomte de Chateaubriand (4 septembre 1768 - 4 juillet 1848) fit halte en Égypte.
À sa grande déception, il ne put s’approcher du plateau de Guizeh, car “par une singulière fatalité, écrit-il dans la relation de son voyage, l'eau du Nil n'était pas encore assez retirée pour aller à cheval aux Pyramides, ni assez haute pour s'en approcher en bateau”. Il n’en manifesta pas moins sa satisfaction d’avoir vu de ses yeux les Pyramides, “sans les avoir touchées de (ses) mains”.
Puis d’enchaîner quelques réflexions, inspirées par Bossuet qu’il se plaît à citer :"Mais quelque effort que fassent les hommes, leur néant paraît partout : ces pyramides étaient des tombeaux ! Encore les rois qui les ont bâties n'ont-ils pas eu le pouvoir d'y être inhumés, et ils n'ont pas joui de leur sépulcre."

“J'avoue (...) qu'au premier aspect des Pyramides, je n'ai senti que de l'admiration. Je sais que la philosophie peut gémir ou sourire en songeant que le plus grand monument sorti de la main des hommes est un tombeau ; mais pourquoi ne voir dans la pyramide de Chéops qu'un amas de pierres et un squelette ? Ce n'est point par le sentiment de son néant que l'homme a élevé un tel sépulcre, c'est par l'instinct de son immortalité : ce sépulcre n'est point la borne qui annonce la fin d'une carrière d'un jour, c'est la borne qui marque l'entrée d'une vie sans terme ; c'est une espèce de porte éternelle ; bâtie sur les confins de l'éternité. (...)

On voudrait aujourd'hui que tous les monuments eussent une utilité physique, et l'on ne songe pas qu'il y a pour les peuples une utilité morale d'un ordre fort supérieur, vers laquelle tendaient les législations de l'antiquité. La vue d'un tombeau n'apprend-elle donc rien ? Si elle enseigne quelque chose, pourquoi se plaindre qu'un roi ait voulu rendre la leçon perpétuelle ? Les grands monuments font une partie essentielle de la gloire de toute société humaine. À moins de soutenir qu'il est égal pour une nation de laisser ou de ne pas laisser un nom dans l'histoire, on ne peut condamner ces édifices qui portent la mémoire d'un peuple au delà de sa propre existence, et le font vivre contemporain des générations qui viennent s'établir dans ces champs abandonnés. Qu'importe alors que ces édifices aient été des amphithéâtres ou des sépulcres ? Tout est tombeau chez un peuple qui n'est plus. (...)

Pour moi, loin de regarder comme un insensé le roi qui fit bâtir la grande Pyramide, je le tiens au contraire pour un monarque d'un esprit magnanime. L'idée de vaincre le temps par un tombeau, de forcer les générations, les mœurs, les lois, les âges, à se briser au pied d'un cercueil, ne saurait être sortie d'une âme vulgaire. Si c'est là de l'orgueil, c'est du moins un grand orgueil. Une vanité comme celle de la grande Pyramide, qui dure depuis trois ou quatre mille ans, pourrait bien à la longue se faire compter pour quelque chose.”

Extraits de “Itinéraire de Paris à Jérusalem”, tome 2, 1848, de François-René, vicomte de Chateaubriand (1768-1848)

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