mardi 24 juin 2014

Les adieux de François Mitterrand à l'Égypte

François Mitterrand à Assouan

"Je voudrais mourir dans l'un des plus beaux endroits du monde… à Assouan où l'on se sent si grand, avec le ciel pour soi… ou à Venise, où l'on se sent si petit, déjà englouti". 

Ces paroles, François Mitterrand les prononça le 28 décembre 1995, il ne lui reste alors que peu de jours à vivre… 

Voilà bien une preuve de son très fort attachement à l'Égypte, et ce n'est pas la seule… 

Comment ne pas rappeler que le premier socialiste à occuper la présidence de la République Française (mai 1981 - mai 1995) avait, le 26 septembre 1981 - quelques mois seulement après son élection -, renoncé officiellement au second obélisque du temple de Louxor ? Et que, dans le cadre du projet "Grand Louvre", il avait choisi l'oeuvre de l'architecte Ieoh Ming Pei : une pyramide dont les proportions s'inspirent de celles de Khéops !
Le 30 mars 1989, à Paris, le Président François Mitterrand a inauguré la pyramide du Louvre
(œuvre de Ieoh Ming Pei) dont les proportions s'inspirent de celles de Khéops

Avec un infini plaisir et un intérêt qui ne se démentira jamais, il visitera ce pays à maintes reprises : "Il connaît les temples, et les tombes ainsi que la subtile théorie égyptienne des trois âmes - l'akh, le ba et le ka - à côté de laquelle la tradition judéo-chrétienne est une sotériologie du pauvre. Son incessant questionnement sur la mort s'étanche, au bord du Nil, de l'inépuisable liturgie mortuaire égyptienne" précise l'un de ses biographes Christophe Barbier. "Passionné par la culture des pharaons, fasciné par leur civilisation et par la lecture du Livre des Morts, il semble aller chercher dans ce pays des réponses aux questions qui l'assaillent".
François Mitterrand à Assouan

Dans "Entre le Nil et Jérusalem : Chroniques d'un diplomate égyptien 1981-1991", Boutros Boutros-Ghali se souvient d'un séjour que le président français a effectué en Egypte au début de son premier mandat : "Le Caire, jeudi 25 novembre 1982 - Visite, aux côtés de François Mitterrand, de l'hôpital de l'université d'Ein Chams, qui a été construite par la France, et dans l'après-midi, l'Institut français d'archéologie orientale. Nous nous rendons à l'ambassade de France où l'attendent plus d'un millier de Français expatriés. Il improvise un discours et se retire. Nous nous envolons pour Assouan dans l'avion présidentiel. François Mitterrand est en forme et serein". Le lendemain, il s'envole vers Abou Simbel où "il admire, sans commentaire, les colosses millénaires qui ont été déplacés au sommet de la berge pour échapper aux eaux du lac qui s'est formé après la construction du grand barrage, barrage que nous visitons. A notre retour d'Abou-Simbel, nous déjeunons avec le président Moubarak qui offre à son homologue un fez. Le président Mitterrand s'empresse de le coiffer. Le déjeuner terminé, nous partons pour Louxor pour une visite des tombes des pharaons sur la rive ouest. Les sirènes de tous les bateaux se mettent à hurler pour fêter le président français. Il a l'énergie de visiter deux tombes. Je suis épuisé. Dans la soirée, il assiste au son et lumière du temple de Karnak et repart aussitôt pour l'aéroport"…
Les présidents François Mitterrand et Hosni Moubarak

En décembre 1987, il entreprend l’ascension du Mont Sinaï : l’ancien ministre de la Justice, Robert Badinter qui l'accompagne raconte alors que le chef de l’État s’est isolé quelques instants une fois arrivé au sommet : "Il avait le visage creusé des jours de décision, j’ai compris à ce moment-là qu’il se représenterait pour un second mandat."

François Mitterrand avait notamment ses habitudes dans la belle ville d'Assouan, plus précisément à l'Old Cataract. Cet hotel mythique, construit par Thomas Cook en 1899, étire son imposante silhouette ocre-rouge sur une falaise granitique, face à l'Ile Eléphantine. Ses fenêtres, aux volets peints en vert sombre ainsi que sa grande terrasse s'ouvrent sur les flots de la première cataracte du Nil. Le spectacle est idyllique avec les felouques qui glissent doucement dans un paysage composé de palmiers et de dunes de sables dont les couleurs varient au gré de l'astre solaire… 
L'Old Cataract à Assouan

Chargé d'histoire, il a accueilli nombre de personnalités séduites par son emplacement de rêve, sa belle architecture à la fois victorienne et mauresque, et tout simplement par son luxe…
François Mitterrand y a été sensible : il a aimé "ce luxueux refuge baigné du souffle tellurique de la civilisation des pharaons. Il a appris à connaître les coins et recoins de l’Old Cataract réchauffé par le soleil caressant du début de l’année. Sur la Promenade dallée de marbre, il s’asseyait face aux ruines millénaires d’Éléphantine: c’était le Sphinx contemplant le mausolée en forme de quadrilatère où repose l’Aga Khan. Là, le président socialiste est traversé par 'l’étrange compagnonnage avec la mort' (Alain Duhamel).

C'est là qu'il décidera de passer ses ultimes vacances... Le président égyptien a affrété, pour lui, son avion personnel pour ce voyage si particulier...
Le 24 décembre 1995, rongé par la maladie, il rassemblera ses dernières forces, sa (seconde) famille et quelques intimes pour passer son dernier Noël, dans la suite numéro 237, qui surplombe le Nil.
"Bouche Cousue" de Mazarine Pingeot, fille de François Mitterrand, a été publié en 2005 

Dans "Bouche cousue", sa fille Mazarine Pingeot se souvient : "Je profitais de ces vacances avec une avidité jusqu’alors inconnue. Longtemps j’avais résisté, je ne voulais pas partir, mon père en avait été blessé. [...] C’est le dernier Noël que nous passons ensemble. Oui, nous sommes partis une fois de plus, loin des médias, de la France et du quotidien. Mais je savais que nous transporterions, dans nos bagages, la maladie et l’imminence de la mort..."

Et pourtant, elle en avait des souvenirs de ses précédents séjours dans ce lieu ! 

"Les plus anciens employés de l’Old Cataract évoquent avec sensibilité le sourire de Mazarine qui se baigne dans la piscine tandis que son père, l’après-midi de fortes chaleurs, est conduit à la villa du président Moubarak à Assouan. C’est ici que le premier des Français se baigne loin des regards des résidents de l’Old Cataract avant de guetter le coucher du soleil sur les collines dorées des îles voisines" raconte Nicolas de Rabaudy.

Cet amour que Mitterrand ressentait pour l'Egypte et pour son peuple était partagé. Dans "La mémoire de Thèbes", Christian Leblanc traduit ainsi le sentiment des égyptiens envers lui : "Il a laissé le souvenir d'un homme d'Etat respecté, qu'on savait amoureux de la vallée du Nil et notamment de cette paisible cité d'Assouan".
François Mitterrand et son médecin personnel le Dr Jean-Pierre Tarot en Egypte, en 1995

Les journalistes ont largement relaté, souvent avec émotion, ses adieux à cette terre aimée.

"Sur le pont de la felouque, allongé dans un transat à l'ombre de la voile, un homme au chapeau blanc barré d'un large ruban noir regarde le Nil : c'est François Mitterrand. Il est arrivé la veille à Assouan ; il lui reste exactement deux semaines à vivre" relate Christophe Barbier.

Quant à Valérie Trierweiler, elle écrit ces mots dans un article de Paris Match : "Il cherche à noyer sa douleur dans la beauté du Nil. L’Égypte est une de ses passions. Il ne se lasse pas d’évoquer le rite des morts, fasciné par la façon dont le passage entre vie et trépas se célèbre."

Hubert Védrine, son ancien secrétaire­général, évoque ce ressenti personnel : "Je pense qu’il aurait été heureux de mourir en Egypte". 
Signature de François Mitterrand sur le livre d'or de l'Old Cataract à son dernier séjour
(alamy stock photo)

Mais, alors qu'il devait rester jusque début janvier, pour notamment rencontrer le président Moubarak, François Mitterrand, épuisé, avance au 29 décembre son retour vers la France. Après un réveillon de Nouvel An passé dans sa propriété de Latche dans les Landes, il rejoint Paris le 2 janvier. 

Celui qui avait conclu sa dernière allocution par le vibrant "Je crois aux forces de l'esprit", s'éteint, au numéro 9 de la rue Frédéric Leplay (Paris VIIème), le 8 janvier 1996.

marie grillot

sources :
Les derniers jours de François Mitterrand, Christophe Barbier, Grasset, 2015
Entre le Nil et Jérusalem : Chroniques d'un diplomate égyptien 1981-1991, Boutros Boutros-Ghali
Bouche cousue, Mazarine Pingeot, Julliard, 2005
La mémoire de Thèbes, Christian Leblanc, L'Harmattan, 2015
L’Old Cataract d’Assouan en Égypte, palace de légende", Nicolas de Rabaudy
Egypte - La passion - Mitterrand Loin d'Isis, par Christophe Barbier
Les derniers jours de François Mitterrand, par Bernard Mazières
Mitterrand: les secrets du "dernier" voyage, par Valérie Trierweiler
Quand Mitterrand passait les fêtes dans un hôtel à Assouan", par Sophie Huet
François Mitterrand
La Croix
https://www.la-croix.com/Archives/1996-01-09/Francois-Mitterrand-_NP_-1996-01-09-403396
...et François Mitterrand en Egypte
https://www.liberation.fr/france-archive/1995/12/26/et-francois-mitterrand-en-egypte_151376

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