Considéré comme "le père de l’égyptologie", Jean-François Champollion naît le 23 décembre 1790 à Figeac (Lot), dans la haute bâtisse familiale de pierre, rue de la Boudousquerie. Le père, Jacques Champollion, est un colporteur dauphinois qui a épousé, en 1773 Jeanne Françoise Gualieu, une "figeacoise", assez aisée, issue d'une famille de tisserands.
Cette naissance, alors que la mère est âgée 48 ans, qu'elle est très malade, presque impotente, est un miracle ! Une "légende" circule quant à son incroyable "remise sur pied", survenue après le passage d'un guérisseur. "Cet homme lui fit des frictions avec du vin chaud dans lequel il avait fait bouillir des simples : il lui en fit boire et le troisième jour, elle quitta son lit, radicalement guérie" (Docteur Janin). Il lui prédit qu'elle serait "mère d'un fils qui lui ferait honneur". Jean-François "brun et bien constitué", naîtra un an plus tard ; il aura pour parrain son frère, Jacques-Joseph, de douze ans son aîné.
Acte de baptême de Jean-François Champollion (photo prise au Musée Champollion à Figeac) |
A l'école primaire communale, Jean-François se révélera être un élève difficile, peu doué en orthographe, peu enclin aux mathématiques. Il ne se fera pas au système scolaire ce qui lui vaudra le qualificatif de "discole". Sur intervention de son cher frère, qui peu à peu a pris pour lui la place du père, il en est retiré. Son éducation est alors confiée à un précepteur, Dom Calmels, qui lui enseigne notamment le grec, le latin. Il est étonné, voire décontenancé, par le comportement de son jeune élève. Il se montre en effet rétif et réfractaire à de nombreuses matières alors que, par ailleurs, des dons certains s'affirment pour les langues et le dessin.
Jacques-Joseph, qui désormais vit à Grenoble, demeure très attentif au quotidien de son cadet, à ses problèmes, à ses progrès. En mars 1801, il décide de le faire venir près de lui. Jean-François quitte Figeac, sans regret, il a alors un peu plus de dix ans et son destin se dessine.
Les frères Champollion : à gauche, Jean-François ("Le Jeune") ; à droite, Jacques-Joseph (Champollion-Figeac) |
Celui qui, toute sa vie, sera son pygmalion le confie à des précepteurs qui stimulent ses immenses capacités et l‘ouvrent sur le monde. En 1803, Champollion "minor", qui apprend déjà le latin et le grec auprès de l'Abbé Dussert, est alors autorisé par celui-ci, selon ses termes : "à étudier non seulement l’hébreu mais 3 autres langues sémitiques l’arabe, le syriaque et le chaldéen". Sa soif d’apprendre les langues orientales est prégnante. Il réintègre, avec un immense déplaisir, un cursus scolaire.
Jacques-Joseph Champollion-Figeac est devenu le "bras droit" de Joseph Fourrier, nouveau Préfet de l'Isère, mais aussi célèbre physicien et mathématicien, bonapartiste et franc-maçon qui revient de la campagne d'Egypte. D'une certaine façon, cet homme façonnera le destin des deux frères. Il leur permet notamment de rencontrer un moine grec érudit, Dom Raphaël de Monachis. De leurs échanges, Jean-François comprend : "que le copte est le relais indispensable en vue de la compréhension des signes pharaoniques, la version hellénisée et parlée de la vieille écriture sacrée" (Jean Lacouture). C’est alors que naît sa passion pour les hiéroglyphes…
A 16 ans, il présente, devant l’Académie des sciences et des Arts de Grenoble, son "Essai de description géographique de l’Egypte avant la conquête de Cambyse". Ce sera son passeport pour Paris où il intègre, en 1807 le Collège de France et l’Ecole spéciale. La bibliothèque impériale et le cabinet des antiques lui offrent des merveilles à étudier. Proche de Stendhal, il sera en contact avec de nombreux "savants" comme Jomard, Jollois, Vivant Denon, de Sacy …
En 1808, il apprend qu’un mémoire sur "Le déchiffrement complet des hiéroglyphes égyptiens" a été publié par Alexandre Lenoire. La même année, il obtient grâce à l’abbé de Tersan, une copie de la pierre de Rosette. Il continue à étudier parallèlement des papyrus en écritures cursives et commence alors à entrevoir des possibilités du déchiffrement.
Il est nommé professeur adjoint d’histoire ancienne à l’université de Grenoble, il a alors 18 ans. "Dès janvier 1810, les deux frères sont nommés par décret, docteurs es lettres" (Correspondances - Figeac et les Frères Champollion, Karine Madrigal).
Grâce aux copies réalisées par les savants de l'Expédition de Bonaparte, Jean-François Champollion pourra étudier les "inscriptions de Rosette" et en arriver au déchiffrement en septembre 1822 |
Dans un climat politique difficile, distinctions et déboires se succcèdent … Ainsi de Sacy écrira-t-il à son frère : "Je ne pense pas qu’il doive s’attacher au déchiffrement de l’inscription de Rosette. Le succès dans ces sortes de recherches est plutôt l’effet d’une heureuse combinaison de circonstances que celui d’un travail opiniâtre qui met quelquefois dans le cas de prendre des illusions pour des réalités".
En 1816, les convictions politiques des deux frères les contraignent à l'exil ; assignés à résidence à Figeac, ils le passeront, studieusement, ensemble…
A l'automne 1817, il est de retour à Grenoble où il épouse, le 30 décembre, Rosine Blanc, fille d'un gantier, qu'il avait rencontrée en 1812.
Jean-François continue à travailler au déchiffrement avec autant d'acharnement que de passion… Début 1822, il a déjà déchiffré deux cartouches royaux : Ptolémée V sur la copie de la pierre de Rosette et Cléopâtre sur la base de l'obélisque de Philae et sur un papyrus bilingue de "Casati". C'est le 14 septembre 1822 qu’enfin il s’écrie "JE TIENS MON AFFAIRE" avant de tomber en syncope !
Ce déchiffrement signera l'acte de naissance d'une science nouvelle : l'égyptologie.
Lettre à M. Dacier relative à l'alphabet des hiéroglyphes phonétiques... / par M. Champollion le jeune Auteur : Champollion, Jean-François (1790-1832). Date d'édition : 1822-1833 |
Le 27 septembre 1822, il présente, à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sa fameuse "Lettre à M. Dacier relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques" dans laquelle il explique : "C'est un système complexe, une écriture tout à la fois figurative, symbolique et phonétique, dans un même texte, une même phrase, je dirais presque dans un même mot".
Deux ans plus tard, il publie son "Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyptiens". Ses découvertes suscitent cependant controverses et critiques de la part de ses contemporains, notamment Sylvestre de Sacy qui le décourage en communiquant des informations à son concurrent Thomas Young.
En 1824, il part au musée de Turin établir le catalogue des collections Drovetti. Puis, il retourne en Italie en 1826, pour estimer la collection Salt. Il y fera deux rencontres importantes : Ippolito Rosellini, son "alter ego toscan" et celle qui sera certainement l'amour de sa vie : la poétesse Angelica Palli. Le 14 mai 1826, il est nommé conservateur des collections égyptiennes du Louvre.
Le 31 juillet 1828, à bord de "L'Eglé", il part enfin pour l’Egypte où il débarque, à Alexandrie, le 18 août 1828. Le but de cette mission franco-toscane - menée par lui pour la France et côté toscan par Rosellini - est de visiter les monuments de l'Égypte antique et d'acheter des objets pour les collections royales. Champollion se consacrera, avec une infinie passion, aux monuments, mais il aura aussi à cœur de rapporter de nombreux objets pour enrichir la division des antiquités égyptiennes du musée Charles X. Tout au long de périple sur les sites de la Vallée du Nil, Champollion s’émerveillera sans cesse que son système de déchiffrement fonctionne …
De retour en France le 27 novembre 1829, il s'installe, début 1830, à Paris avec son épouse Rosine et sa fille Zoraïde. Professeur au Collège de France, il continue à publier et à déborder d’idées. Cependant, sa santé est fragile, il souffre de goutte, de tuberculose, de surmenage. Il meurt le 3 mars 1832, il n’a que 41 ans … mais quelle vie !!
Tombe de Jean-François Champollion dans la division 18 du cimetière du Père-Lachaise à Paris |
C'est dans la belle église baroque de Saint-Roch, dans le premier arrondissement de Paris, que se dérouleront, à 11 h le 6 mars, jour de Mardi Gras, ses obsèques. Puis, dans la division 18 du Père-Lachaise, sa tombe fut recouverte de lauriers et : "son cercueil fut déposé, suivant son vœu non loin de Fourier, le mathématicien, le préfet, l'ami, l'initiateur".
La proscription des cultes par Théodose 15 siècles plus tôt, avait voué au silence l’Egypte de l’antiquité. L’écriture s’était perdue … Le génie de Champollion a réveillé les murs des temples, permis aux papyrus d’être lus, redonné vie aux pharaons, aux statues, …
Champollion, retour d’une expédition archéologique dans la Vallée des Rois, près des colosses de Memnon, Maurice Orange, huile sur toile, 1898 (détail) collection particulière, tous droits réservés |
Grâce à celui qui disait dans le feu de sa passion : "Je suis tout à l'Egypte, elle est tout pour moi", l’histoire incroyable de cette civilisation qui demeurait "muette" était enfin révélée …
Jean-Francois Champollion en habit égyptien, Giuseppe Angelelli, 1828 |
Laissons son merveilleux biographe, Jean Lacouture, conclure en apportant un éclairage particulier sur ce grand homme qui était aussi un homme de convictions et de passions : "Révolutionnaire au tempérament romantique, amoureux d'une poétesse toscane, fervent de Bonaparte et adversaire de Napoléon,… il était … un authentique héritier de la philosophie des Lumières” ...
marie grillot
sources :
Jean-François Champollion, Sa vie et son œuvre, Hermine Hartleben
Champollion, une vie de lumières, Jean Lacouture, Grasset, 1988
Champollion, journal d'une vie, Musée Champollion Figeac
Correspondances, Figeac et les frères Champollion, Karine Madrigal, Musée Champollion, Figeac
Champollion, le savant déchiffré, Alain Faure, 2020
Notice publiée dans la revue de la Société de phrénologie de Paris, le 12 novembre 1833, par le Docteur Janin
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