"C'est la première momie à portrait peint que M. Gayet a rapportée d'Antinoé. J'ai pensé qu'elle était chrétienne et je l'ai donnée au Musée du Vatican avec toutes les étoffes à symboles chrétiens qui l'entouraient" indique Emile Guimet dans "Les portraits d'Antinoé au Musée Guimet".
C'est ainsi que ce linceul fragmentaire, haut de 1,73 m, large de 13 à 52 cm représentant une dame de la bonne société romaine du début de notre ère, prit, en 1902, la route du Saint-Siège, sous le pontificat de Léon XIII. Elle fut ensuite, de fort belle manière, "assimilée" à sa nouvelle "demeure", puisqu'elle fut très vite dénommée la "Dame du Vatican".
"Elle fait partie d’une typologie de toiles funéraires de femme dont on ne connaît que six exemplaires dans les musées de par le monde. Le portrait de la défunte ne se limite pas au visage, mais la femme est représentée grandeur nature, en pied. Elle est étendue, comme on le remarque à la position des pieds allongés et posés sur un coussin. Elle porte des bijoux, réalisés en relief, en plâtre et dorés" précise le Musée…
Son visage, d'une belle symétrie, est éclairé par de grands yeux bordés de kohol. L'iris, rond et noir, se détache sur un blanc de l'œil qui semble humide de larmes. Les sourcils sont joliment arqués alors que de légers cernes marquent la paupière inférieure. Le nez est menu. La bouche est petite, avec un arc de cupidon très marqué et des commissures légèrement relevées.
Ses cheveux bruns, coiffés en un "carré" court sont séparés par une raie centrale et ornés d'un diadème de perles. La coiffure, légèrement renvoyée vers l'arrière, laisse apercevoir de belles boucles d'oreilles à pendant ornées de perles.
Elle est vêtue d'une tunique d'un pourpre - orangé agrémentée d'une fine bordure blanche à l'encolure et de clavi violets qui : "tombent sur ses avant-bras et vont jusqu'au-dessus des genoux; celui de droite est fixé sur la robe par une épingle. Les clavi descendent sur les bras et délimitent la partie centrale occupée par un châle. . Sous sa poitrine, sa taille et ses jambes jusqu'aux genoux sont recouverts d'un tissu rectangulaire frangé avec deux grands médaillons pourpres appliqués au centre" précise Lorenzo Nigro dans son étude "Il ritratto della 'Dame du Vatican' sul telo linteo da Antinoe: una nuova analisi interpretativa dopo il restauro".
Des colliers d'or et de pierres précieuses parent son cou ; ses poignets sont, eux aussi, ornés de bracelets, matérialisés en relief à la feuille d'or. On admire l'élégance du geste qu'elle esquisse de sa main aux longs doigts effilés qui met parfaitement en valeur la bague qu'elle porte à son annulaire gauche.
"La présence de l'anneau est particulièrement significative, car cet attribut indique avec une bonne fiabilité l'appartenance de la femme à une famille aristocratique. En fait, ce n'est pas un simple ornement personnel, mais un indicateur du rang social de la dame. L'ensemble des ornements précieux décrits fait de la 'Dame du Vatican' l'un des personnages féminins les plus richement ornés des représentations connues de la même série d'œuvres, notamment grâce aux bijoux portés au cou" (Lorenzo Nigro).
Le reste de la toile, malheureusement lacunaire, déclinait une : "série d’encadrements et de frises concentriques et, dans la partie inférieure, une frise divisée en petits panneaux rectangulaires figurés, dont on n’en conserve que deux : dans le premier on distingue une scène d’instruction philosophique avec un maître et une jeune élève, probablement la défunte elle-même ; dans le deuxième, moins lisible, on distingue un combat entre un jeune homme et un lion" précise le musée.
La coiffure, les vêtements et les parures ont permis de dater ce linceul du IIIe siècle, et plus particulièrement de la dynastie des Sévère, fondée par Septime Sévère en 193 ap. J.-C..
Les ruines d'Antinoé s'étendent aujourd'hui dans un village du nom de Sheikh 'Abade (Moyenne- Egypte) |
La ville d'Antinoé où il a été découvert est située en Moyenne-Egypte, sur la rive orientale du Nil, 300 km au sud du Caire. La cité existait déjà au Nouvel Empire mais elle fut rebaptisée par Hadrien au Ier siècle, du nom de son bel amant Antinoüs. Ses ruines s'étendent aujourd'hui dans un village du nom de Sheikh 'Abade.
Illustration représentant les fouilles d'Albert Gayet à Antinopolis
(publiée dans le Petit Journal - 1904-686)
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Dès 1896, en accord avec la Direction du Service des antiquités, Emile Guimet deviendra, pendant de nombreuses années, le mécène des fouilles dirigées par Albert Gayet. Cet égyptologue dijonnais était arrivé en Egypte en 1881 avec la Mission archéologique française permanente au Caire créée par Gaston Maspero. C'est ce dernier qui le poussera à s'orienter vers : "une direction encore mal connue : l'archéologie de l'Égypte de l'antiquité tardive". C'est ainsi qu'il en deviendra le spécialiste…
Au fil de ces missions, Antinoé livrera les secrets de ses nécropoles : les portraits peints et les tissus et vêtements en sont certainement les plus beaux trésors. Ils permettent de faire "revivre" toute une société cosmopolite riche d'influences diverses, cette "dame" en est un parfait exemple…
Comment ne pas évoquer cette merveilleuse analyse qu'en fit Emile Guimet ? "La 'Dame du Vatican' était-elle 'idolâtre' ou était-elle 'chrétienne' ? On ne le saura pas. Elle était un peu isiaque, à cause de la porte de temple égyptien qui entoure son visage; elle était un peu bouddhique, par les enroulements qui ornent les médaillons de sa robe; elle était un peu syriaque, par le petit tableau qui orne son linceul et représente deux personnages assis à droite et à gauche de l'arbre de vie ; elle était un peu chrétienne, par le geste de sa main droite qu'imitera la dame à la croix d'or, par ses aspirations spiritualistes, par les symboles répandus sur les étoffes trouvées autour d'elle. Il faut s'habituer à rencontrer à cette époque des personnages qui s'assuraient à tous les paradis".
La "Dame du Vatican" a été enregistrée au Musée qui lui a donné son nom sous le n° d'inventaire 17953.
marie grillot
sources :
Toile de la "Dame du Vatican"
http://www.museivaticani.va/content/museivaticani/fr/collezioni/musei/museo-gregoriano-egizio/sala-ii--costumi-funerari-dellantico-egitto/telo-della-_dama-del-vaticano-.html
Lorenzo Nigro, F. Persegati, Il ritratto della 'Dame du Vatican' sul telo linteo da Antinoe: una nuova analisi interpretativa dopo il restauro,
(extraits traduits par Marc Chartier), Bolletino, Vol. XX, Tipografia Vaticana, Anno 2000
http://www.lasapienzatojericho.it/Biblioteca/NEA/antinoe.pdf
Emile Guimet, Les portraits d'Antinoé au Musée Guimet, Librairie Hachette et Cie, Paris, 1912?
http://dlib.nyu.edu/awdl/sites/dl-pa.home.nyu.edu.awdl/files/lesportraitsdant00guim/lesportraitsdant00guim.pdf
Albert Gayet, L'Exploration des ruines d'Antinoé et la découverte d'un temple de Ramsès II enclos dans l'enceinte de la ville d'Hadrien, éditions E. Leroux, Paris, 1896
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k57769062
Un jour j'achetai une momie - Emile Guimet et l'Égypte antique - Musée des Beaux-Arts de Lyon - Exposition du 30 mars au 2 juillet 2012
https://www.mba-lyon.fr/sites/mba/files/medias/images/2019-12/dpresse_expo_egypte_antique.pdf
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