dimanche 18 octobre 2015

"Palais oubliés d'Égypte"

Palais de Choubra - photo de Bonfils
Dans son récent ouvrage, “Palais oubliés d’Égypte” (éditions Riveneuve, 2015, 240 pages), Caroline Kurhan invite ses lecteurs à une visite privilégiée, parfois insolite, d’une quarantaine de palais construits ou restaurés par les souverains de la dynastie de Méhémet Ali : soit, pour la période de 1805 à 1952, outre le monarque fondateur de cette dynastie, Ibrahim pacha, Abbas pacha, Saïd pacha, Ismaïl pacha, le khédive Tewfik, le khédive Abbas II, le roi Fouad, le roi Farouk.


Caroline Kurhan est historienne. Elle a vécu quinze années en Égypte où elle a dirigé le département Patrimoine culturel de l’Université Senghor, à Alexandrie. Pour la rédaction de ce livre, elle a eu accès à des archives inédites de différents membres de la famille royale. D’où le privilège rare d’approcher de près la mémoire de ces somptueuses demeures des souverains et de leur famille, résidences principales ou secondaires, mais également ce que Linant de Bellefonds appelait de “pauvres maisons”, regroupées sous l‘appellation de “palais”.

Palais de Choubra, Kasr el-Aali, palais de Gizeh (converti en musée en 1890), palais de Gezireh (devenu hôtel Marriott), palais de Zaafarane (qui abrite depuis 1952 les services du président de l’université de Aïn Shams), palais de Koubbeh, etc., sans oublier les palais flottants (frégates, yachts), les trains royaux et les palais dynastiques, jamais abandonnés du début à la fin de la dynastie (Abdine, Ras el-Tin)... tous ces lieux sont chargés d’évocations des événements, fastes et cérémonies qu’ils ont accueillis.
Telle est en effet l’originalité de l’ouvrage : en plus d’un inventaire de palais détruits, reconvertis ou disparus, il propose de nombreuses données et anecdotes historiques, “l’histoire des palais (revenant) à montrer sous un nouvel angle l’histoire de la dynastie à travers ses choix artistiques qui révèlent que dans tous les domaines, modernisme et excentricité ne limitaient l’audace à la seule sphère politique”. 

Palais de Guezireh
Nous nous retrouvons ainsi témoins de réceptions, cérémonies et autres festivités grandioses, dont l’inauguration du canal de Suez, le départ vers la Mekke de la “kiswa”, tissu ornant la “Ka’aba”, le mariage du roi Farouk (20 janvier 1938).
D’autres récits rappellent que l’histoire est également faite d’événements moins festifs, voire dramatiques : massacre des Mamelouks du 1er mars 1811, la révolte d’Orabi (juillet 1882)... Quelques pages sont enfin consacrées à la description du mobilier des palais, des services de table, du protocole, de certains banquets au menu à la fois raffiné et pantagruélique, sans oublier les jardins aux plantations d’essences recherchées (Méhémet Ali, est-il rappelé, excellait en ce domaine).

Palais de Ras el-Tin
Qu’elles aient été préservées ou qu’elles aient disparu, toutes les demeures princières décrites par Caroline Kurhan témoignent d’une “Belle Époque” à l’égyptienne, inspirée d’un certain Occident du luxe et du paraître… tout souverain accédant au trône désirant marquer de son empreinte le patrimoine immobilier dont il héritait, en se faisant construire des palais conformes à ses souhaits et à son idée du pouvoir. Rien n’était trop beau, fût-ce en sacrifiant à l’ “orgie de la truelle” ou à la “manie de la pierre” ! Ainsi, le khédive Ismaïl avait à sa disposition 43 palais, bâtis ou restaurés. Il n’empêche qu’il s’est “fait construire de nombreux palais à Roda, à Gizeh, à Kasr el-Aïni en face de l’île de Roda, à Mustapha sur l’emplacement du camp César à Alexandrie, etc.”

Par sa Révolution de 1952, l’Égypte s’est choisi un nouveau destin et un autre mode de gouvernance. Les palais princiers, faisant partie du patrimoine immobilier national, ont parfois été affectés à d’autres fonctions ou destinations, tout en reflétant, ne serait-ce qu'en demi-teinte, le prestige de leurs anciens illustres occupants. Mais certains ont été délaissés, ou même détruits. Ils ne pouvaient en tout cas pas concurrencer, comme le souligne Jean-Yves Marin dans la préface de l’ouvrage, “l’omniprésence de l’Antiquité dans le paysage égyptien”, en dépit d’un décret de 1993 interdisant la démolition des “palais et villas de grande valeur”. D’où cette surprenante qualification de “malédiction” à propos de l’époque pharaonique !
On l’aura compris : “Palais oubliés d’Égypte” est un livre-plaidoyer. C'est surtout un livre-mémoire. Un livre d'histoire.

MC

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