Sur la rive ouest de Louqsor, à l'entrée de la route qui mène à la Vallée des Rois, se trouve, à droite, sur un promontoire (la "colline des mouches"), à l'aplomb de la Maison de Carter, une autre belle demeure à dômes qui lui ressemble. Elle a été bâtie par Hassan Fathy, en architecture traditionnelle, juste après la construction du village de Gournah el-Gedida. Bien qu'il se puisse qu'elle ait été commanditée par le service des Antiquités dirigé alors par Étienne Drioton, elle est connue sous le nom de "Maison Stoppelaëre".
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| La maison Stoppelaëre - architecture Hassan Fathy © Marie Grillot |
Alexandre Marie Jean-Baptiste Stoppelaëre est né le 15 mai 1890 à Saint-Paul de Fenouillet, au cœur du Roussillon (France). Il fait des études d'art et fréquente le milieu artistique cosmopolite parisien. Il entretient une relation avec Léonie Ricou qui côtoie Guillaume Apollinaire, Paul Fort, Pablo Picasso, Constantin Brancusi, Amedeo Modigliani… À peine s'est-elle installée avec lui à Bruxelles qu'elle meurt, lui léguant, entre autres, une magnifique statue du sculpteur roumain Brancusi. La vente de "L’Oiseau dans l'Espace" lui permettra, semble-t-il, de mener une vie dégagée de tout souci d'argent.
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| Léonie Ricou et "'L'Oiseau dans l'Espace" de Constantin Brancusi |
Alors qu'il enseigne aux beaux-arts, il donne, en Égypte, en 1938, une série de séminaires sur les techniques de peinture et de restauration.
Parallèlement, Étienne Drioton constate avec consternation, à chaque inspection des nécropoles thébaines, que les tombes sont de plus en plus endommagées : "Au cours des millénaires leur enfouissement les avait protégées. Désormais, exposées aux variations hygrométriques et sous l’action du salpêtre, les enduits se soulèvent, la couche picturale s’écaille, peu à peu les magnifiques décors de parois disparaissent."
De plus, elles souffrent d'actes de vandalisme condamnables et inacceptables ; certaines sont même irrémédiablement mutilées par le découpage de parties de leurs parois.
Dès lors, il se bat pour obtenir les fonds nécessaires à la création d'un Service de Restauration. Il lui faut du temps, de la patience, mais ce projet aboutit enfin en 1942.
Sa mise en place est réfléchie et responsable : "Les restaurations doivent être confiées à des spécialistes. Pour mener à bien ce projet, il est indispensable de choisir un expert hautement qualifié qui dirigera les travaux et transmettra son savoir-faire. La direction de cette nouvelle activité est confiée à Alexandre Stoppelaëre" (Michèle Juret).
Il est présenté comme "un spécialiste parisien, du goût le plus sûr, et de la plus grande habileté". Très vite, le travail qu'il mène, prioritairement dans les nécropoles thébaines, est loué et reconnu. Non seulement il œuvre lui-même dans les tombes, mais il se consacre à la formation d'élèves, constituant ainsi des équipes compétentes et autonomes.
Il semble que, dans un premier temps, enseignant et disciples s'installent dans la maison de Carter et dans celle de la mission de Chicago… La construction d'une nouvelle demeure abritant le "service" s'avéra-t-elle alors nécessaire, d'où l'édification de la "Maison Stoppelaëre" ? Les plans sembleraient révéler qu'elle ait été, au départ, conçue en plusieurs "parties", comprenant notamment les salles consacrées à l'enseignement et, d'autre part, la demeure de 'fonction' ou 'personnelle' du directeur.
À Louqsor, les principales restaurations sont menées dans la tombe de Néfertari, dans celles de Menna, de Rekhmiré dans la Vallée des Nobles, et de Kherouef dans l'Assassif. Elles sont si parfaites, si réussies, si bien réalisées "qu'elles ne se voient pas"…
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| Tombes de Kherouef et Menna |
Stoppelaëre œuvrera en Égypte pendant 12 ans. Il fera partie du "Groupe de Louxor", composé de René Adolphe Schwaller, de Lubicz égyptologue et de sa fille adoptive Lucie Lamy, et de deux membres de l'IFAO, Alexandre Varille et Clément Robichon.
Alexandre Stoppelaëre a peu écrit. Peut-être a-t-il privilégié la "rareté" et la qualité ? En effet, son "Introduction à la peinture thébaine", parue en 1947, traduit de merveilleuse façon sa sensibilité et sa "compréhension" des artistes de l'antiquité.
Il détaille avec précision les aspects techniques de la préparation : "Ces peintures égyptiennes, improprement appelées fresques - la chaux n'était pas employée en Égypte - sont des gouaches ou des tempéras peintes sur un crépi de plâtre ou de limon du Nil lissé, qui dressait les parois des tombes creusées dans les collines de la nécropole de Thèbes. Ainsi préparée, la paroi était divisée par des lignes rouges tracées au cordeau qui délimitaient les scènes, fixaient la place des bordures, des registres et des colonnes d'inscriptions…"
Et il sait tout aussi bien interpréter la "philosophie" qui présidait à la réalisation des peintures : "Les décorations des murs, aussi bien des temples que des tombes, où la couleur n'est souvent qu'une enluminure, complétant le sens des bas-reliefs, doivent être considérées comme les chapitres, les paragraphes, les phrases et les mots d'un livre qu'on doit lire…"
Il revient aussi avec pertinence sur le fait qu'alors, le sens de la perspective était bel et bien acquis : "Il est évident que les Égyptiens connaissaient la perspective optique. Ils n'en avaient peut-être pas formulé les lois géométriques mais ils étaient de trop grands observateurs de la nature pour ne pas avoir senti les propriétés des lignes fuyant dans l'espace…"
Probablement à cause de la destitution du roi Farouk, qui impliquera la démission d'Étienne Drioton, il quitte l'Égypte en 1952.
Il meurt le 13 avril 1978 à Issy les Moulineaux.
Comment ne pas terminer cet hommage à un artiste, par l'hommage qu'il a lui-même rendu aux artistes, ses lointains - mais proches - prédécesseurs de l'antiquité : "Quelles qu'aient été leur formation et les règles sévères qu'on leur imposait de suivre, les artistes égyptiens n'auraient pu donner la vie à ces chefs-d'oeuvre d'architecture, de sculpture et de peinture que nous admirons et qui nous touchent si profondément alors que nous ne comprenons ni leur portée réelle ni leur sens vrai, s'ils n'avaient pas été des hommes aussi qui aiment, souffrent et désirent et si, avec leur réceptivité sensible, ils n'avaient pas exprimé l'âme de leur temps."
marie grillot
sources :
Michèle Juret, Étienne Drioton - l'Égypte, une passion, éditions Gérard LouisIntroduction à la peinture thébaine, article paru dans le magazine "Valeurs", n°7-8, publié en 1947 à Alexandrie
Dégradations et restaurations des peintures murales égyptiennes (ASAE 40, pp.941-950)
Les travaux archéologiques du Service des Antiquité de l'Égypte en 1946-1947, Etienne Drioton, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, année 1947, volume 91, n° 3, pp. 519-527
http://www.persee.fr/docAsPDF/crai_0065-0536_1947_num_91_3_78162.pdf
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/syria_0039-7946_1954_num_31_3_8634
http://www.t3wy.nl/stoppelaere-house/
http://www.t3wy.nl/stoppelaere-letter-to-conrad-kickert/





Bonjour à vous, vous écrivez "Il fera partie du "Groupe de Louxor", composé de René Adolphe Schwaller, de Lubicz égyptologue" ! Ceci est approximatif ! C'est Schwaller de Lubicz le créateur du groupe de louxor, et non pas "composé" ! Je suis très étonner de ne pas voir l'oeuvre de Schwaller de Lubicz sur louxor sur votre site. Bravo pour votre travaille ! Cordialement W.
RépondreSupprimerExcellent article, merci beaucoup.
RépondreSupprimer- Léonie Ricou, s'appelait en fait Léone, non Léonie.
- Elle fut marié sous le conseil de leur meilleur ami fidèle à eux deux, Alexandre Mercereau qui régissait le coté cosmopolite et artistique au début du siècle passé (1884-1945)
- La sculpture de l'artiste roumain Constantin Brancusi, était l'oiseau dans l'éspace, en marbre gris et socle en marbre rouge
Bien cordialement et bonne continuation